Histoires de familles

Thomas GUNZIG, Borgia, comédie contemporaine, Vauvert, Au diable vauvert, 2015, 72 p., 5 €/ePub : 2.99 €

gunzigPour endormir sa petite-fille, la vieille Lucrèce lui raconte son enfance et puis sa vie : comment elle a quitté sa famille pour en trouver une autre, après s’être trompée de famille, et finalement comment elle en a « fabriqué » une. Puis, la petite-fille raconte sa propre vision de la famille.

Comme toujours avec Thomas Gunzig, le résumé ne peut rendre compte du caractère foisonnant de la pièce qui s’inscrit dans le non vraisemblable et l’absurde. Déjà le titre est en porte-à-faux, Borgia, comédie contemporaine. Oui, il s’agit d’histoires de familles et variations sur l’idée de famille, dont le point commun est le personnage de Lucrèce, mais sans l’idée mouvementée associée au patronyme. La seconde partie du titre, comédie contemporaine, ne renvoie pas à l’illustration de la vie familiale d’aujourd’hui. Ce titre désigne assurément une forme contemporaine de théâtre, à la logique déjantée et mêlant les genres (personnages et marionnettes). Surtout peut-être, il est interrogation sur la cohérence et le sens d’une vie. Est-on contemporain de soi-même et de sa vie ? Lucrèce vieille « se souvient de comment c’était de ne rien connaître ». Et elle trouve que « c’est bizarre de se souvenir de l’ignorance », phrase qui ouvre et clôt son récit. Ce récit, elle le tient en duo avec l’enfant qu’elle était et qui se matérialise devant elle, comme tous les protagonistes de sa vie d’ailleurs. Qui est donc contemporain de quoi ? Quand on est vieux, le passé appelle : « comme lui, vous serez bientôt un souvenir et les souvenirs, entre eux ça s’entend souvent bien ».

Les paradoxes sont nombreux, qui contribuent largement à l’absurde : « Savoir les choses, ça ne sert à rien. Mais ça à l’époque, comme j’étais très très bête, je ne le savais pas. Mais je le sais maintenant. » Et comment comprendre alors son passé et l’histoire de sa vie ? L’absurde est ainsi un mode d’interrogation très convaincant. À cela s’ajoute le style particulier de Thomas Gunzig et son art poussé de la métaphore improbable : « On se souvient qu’on était comme un poisson aveugle dans un lac tiède. »

Dans les pièces et les romans de Gunzig, à première lecture, on est séduit par l’inventivité burlesque. La seconde lecture représente un autre plaisir, celui de percevoir la grande complexité de ses textes.

Joseph DUHAMEL