Portrait de femme(s) pluriel et singulier

Un coup de coeur du Carnet
Maxime HANCHIR


landuytSi tout texte de théâtre est écrit pour être joué, toute production réussie nécessite au départ un texte de qualité. Sylvie Landuyt le sait qui signe avec Elles(s) un texte vif et percutant remettant en cause les préjugés de genre. Sans jamais tomber dans la leçon de féminisme.

Elle(s) c’est une pièce à voix multiples : voix de femmes qui s’interrompent, se répondent, se contredisent, s’amplifient l’une l’autre en s’interpelant.

Elle(s) c’est d’abord l’histoire d’une petite fille qui se pose trop de questions, qui s’invente des histoires, qui devient femme trop vite. Elle(s) s’imagine tour à tour femme de ménage (« parce qu’on lui a fait croire que c’est la seule chose qu’elle pouvait obtenir »), actrice porno (américaine, italienne, française), femme d’affaire (quittée par son mari qui ne supporte pas son succès), à nouveau petite fille, Femen (qui finira de toute façon sur un pot de yaourt au bifidus). Elle(s) aimerait comprendre les trous du corps et du cœur, trouver des mots pour remplir les vides, ceux que l’on se passe de mère en fille. Elle(s) cherche des solutions, de nouvelles perspectives : faire des pipes pour monter l’ascenseur social, militer pour une cause, jouer les chiennes enragées, copier le modèle masculin. Parfois elle(s) a envie de dire des gros mots, de « faire des fucks », car elle(s) a l’impression d’être toutes les femmes avant elle(s), enfermée par l’éducation et par les mots : pourquoi ne lui a-t-on jamais parlé de politique, quel est donc le masculin de nymphomane ? Lui faudra-t-il avoir des enfants, se marier ? Elle(s) a peur d’être enfermée dans une civilisation.

Elle(s) c’est ensuite l’histoire d’une mère qui n’aime plus son mari, qui le méprise, lui qui s’est retranché dans le silence, lui qui boit des bières en rentrant le soir, qui fume des joints pour oublier, pour l’oublier elle. Il en a fait une épouse reproductrice, l’a condamnée au poids du quotidien, à la litanie des tâches ménagères, et voici qu’elle se sent coincée, « coincée dans son costume de femme ».

Elle(s) c’est aussi la voix consolidante d’une narratrice, dont le contrepoint incisif vient soutenir avec force et justesse celles plus décousues des personnages satellites ; ou encore celle d’un Don Juan sans substance, orateur brillamment émasculé, grotesquement réduit à devoir répéter éternellement la même tirade.

Elle(s) finalement, comme l’écrit l’auteure, « ça pourrait […] être ta mère ou ta femme. Ta femme ou ta mère. Ou ta mère ET ta femme. N’importe quelle femme qu’on ne comprend pas, n’entend pas. »

Elle(s) c’est un texte réussi, comme le sont toujours les textes vrais.

♦ Sylvie LANDUYT, Elle(s), Carnières, Lansman, 2015, 34 p., 9 €