Lové au coeur du livre

Un coup de coeur du Carnet

Werner LAMBERSY, In angulo cum libro, ill. de Diane de Bournazel, Paris, Al Manar, 2015, 51 p., 15€

L’œuvre de Werner Lambersy compte dans le paysage littéraire francophone ! Cinquante ans d’écriture et plus de soixante livres ont permis au poète d’emprunter de nombreuses voies sans pour autant entamer la cohérence des thèmes et des obsessions qui traverse chaque nouvelle publication. Celle que suit le dernier recueil publié aux éditions Al Manar est assurément intimiste. S’il fallait ranger le livre sur un rayon de la bibliothèque, il trouverait une place presque naturellement, comme par filiation, entre La flamme d’une chandelle de Gaston  Bachelard et les Microgrammes de Robert Walser dont l’auteur reprend une phrase en exergue.

Lambersy poursuit ici sa quête intérieure à travers la voix du poème, seule partition valable où, par un même souffle,  le monde et l’homme se rejoignent dans ce qu’il leur reste de véracité. Lové au cœur du livre, le poète est revenu de ses pérégrinations, de cette fureur d’ailleurs qui lança son âme « sur le trottoir du monde/de Rome à New York ou/Paris ». C’est aujourd’hui dans un coin avec un livre – in angulo cum libro – que l’auteur s’installe, dans le sillage de Montaigne ou de Thomas a Kempis, pour ressentir cet appel, cet écho où « attend la vie qui ne veut pas cesser de vivre ».

Comme souvent dans l’œuvre, les métaphores liées au corps et à la peau abondent. Elles interagissent ici directement avec celles du livre, lieux de dialogue et de perméabilité avec l’extérieur. L’écriture s’insinue donc dans les plis du livre comme dans les replis peauciers qui sont autant d’espaces d’échanges où s’opèrent les mues et le « décompte des siècles ».

Même intime, la poésie de Lambersy ne perd pas de vue le monde qui va, qui tourne avec son lot d’inégalités, de détresses et de charniers exhumés par «le napalm des crépuscules». Les images sont fortes, puissantes. Lyriques ou narratives, elles donnent à voir des instants fragiles, volés qui ne laissent jamais indifférents.

mon âme ou ce qui reste/de la peau vide des/bananes vertes du temps/sur les marchés/de La Havane et de Rio/quand passent des filles/dont les robes/de rhum/s’évaporent dans/les chambres de passe/où tanguent/les misérables étraves/de nos reins/et que l’amour fouille/dans les poubelles/de l’argent

Si le livre est un espace de refuge, il est aussi le lieu de résistance, de combat jamais interrompu. Une fois encore, c’est la rage d’écrire de Lambersy qui sourd ici, entre silences et cris, entre orages et soleils.

En compagnons de route, nous nous installerons donc avec lui, le temps d’une lecture, « dans un recoin avec un livre/comme on tient contre/les vents/une flamme sous une paume ».

Rony DEMAESENEER