Alain MUNOZ, D’ailleurs, Bruxelles, Habeas Corpus, 2015, 56 p.
Publié chez Habeas Corpus (altercomix), label bruxellois indépendant de bande dessinée fondé par Alain Munoz (voir alainmunoz.blogspot.be), D’ailleurs est une bande dessinée petit format en noir et blanc qui évoque avec pudeur et sensibilité un page douloureuse de l’histoire européenne du XXe siècle.
D’ailleurs prend la forme d’une lettre. Celle qu’oncle Antonio écrit à son petit-neveu de neuf ans afin de l’aider pour son devoir. Son instituteur lui a demandé un travail sur la mémoire. Alors Antonio se remémore : « Pour moi, les premiers souvenirs, ce sont les murs blancs de l’Espagne quand le soleil tape dessus, l’odeur de l’ail que mon père frotte sur le pain. »
À peine sorti de l’enfance, Antonio est rattrapé par l’Histoire, comme le seront tous les Espagnols en cette époque troublée. En peu de mots, juste assez pour qu’on saisisse l’horreur de cette période, Antonio parle des années 30, du fascisme, de ¡ No pasarán ! et enfin de l’exil, solution douloureuse qui permettra à une partie de sa famille d’échapper à la mort. .
D’ailleurs est en effet aussi le récit d’une émigration, celle des Espagnols qui quittèrent leur pays pour rejoindre la France par les Pyrénées. L’album de Munoz nous rappelle que l’Histoire ne fait que se répéter et que la fuite de la guerre a engendré des exodes massifs de tous temps. Antonio atteindra la France et ne la quittera plus, même si son « regard est tourné vers l’Espagne ». Pour sa mère, la France « restera une cachette et les Pyrénées, des sortes de talus derrière lesquels on se blottit pour que le grand méchant loup ne nous trouve pas. »
Le texte est succinct. La narration prend son temps et n’en a que plus de poids. De case en case, on suit en parallèle le quotidien d’Antonio aujourd’hui, dans une région montagneuse quelque part en France, et le fil de ses souvenirs, des images parfois esquissées, parfois fortes. L’encre semble çà et là jetée sur la feuille, particulièrement lorsqu’Alain Munoz évoque la guerre. Les tâches évoquent la violence des explosions, le sang, le chaos dans lequel est plongé le pays. Le noir et blanc choisi par l’auteur pour ses dessins confère au récit une sobriété qui lui convient et laisse leur place à des mots mesurés et justes.
Fanny DESCHAMPS