Corine JAMAR, Emplacement réservé, Bègles, Le Castor astral, 2015, 224 p., 15.90 €/ePub : 10.99 €
Construit au départ de chroniques, voici un roman inspiré de l’expérience de l’auteur qui est maman d’une petite fille diagnostiquée polyhandicapée. Concrètement, son enfant cumule des déficiences mentales, physiques et comportementales qui entravent sérieusement son autonomie, son développement et sa vie relationnelle. La narratrice ne baisse pas pour autant les bras dans son rôle de mère et elle fait la sourde oreille aux diseurs de mauvaise aventure, bravant les plus sombres prédictions et se battant pour l’acquisition de chaque bribe de progrès.
Une de ses victoires est précisément l’obtention d’un emplacement réservé aux personnes handicapées devant son domicile. Il est censé faciliter les déplacements qui sont laborieux et l’enlèvement de l’équipement indispensable à la conquête de la mobilité. Tout ici est précisément affaire de conquête car les obstacles ne manquent pas. En plus des contraintes liées au handicap, les obstacles administratifs et organisationnels imposent de nombreux défis. D’abord pour obtenir l’emplacement, puis la carte qui permet d’y avoir accès, mais aussi pour lutter contre les intrus qui en prennent possession au mépris de la loi. Peu importe : cette mère n’est jamais prête à lâcher le morceau quand il s’agit de sa fille. La jeune femme se mue en lionne et mène la vie dure à ceux qui sont sur son chemin et elle multiplie les ruses pour dissuader les inciviques. Comme elle ne recule devant rien pour obtenir les services d’une logopède. Elle est animée d’une forme de rage doublée d’un sens de l’humour implacable qui vient à bout des situations les plus embarrassantes et qui pimente un récit qui pourrait sans cela sombrer dans le pathétique.
Cette vigueur se traduit aussi dans le ton du roman et elle donne lieu à des morceaux de bravoure d’une rare férocité. Cette obstination sans relâche qui n’épargne pas son entourage est touchante, mais aussi épuisante pour l’intéressée qui n’a guère l’occasion de lâcher prise et pour qui les occasions de souffler sont rares d’autant qu’elle n’est guère portée à accorder sa confiance au premier venu. Vient un moment où elle aussi recherche un emplacement réservé.
On l’aura compris, ce texte est à mille lieux d’un plaidoyer misérabiliste qui limiterait le handicap à une sombre malédiction appelant notre compassion. La vitalité de cette mère, et ses combats sans concessions pour le respect de la dignité, sont porteurs d’une force bienfaisante qui emplit le texte lui-même et malmène les idées reçues.
Thierry DETIENNE