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Le plaisir s’estompe-t-il avec l’âge ?

Un coup de cœur du Carnet

Geneviève DAMAS, Perfect Day, Lansman, 2022, 52 p., 11 €, ISBN : 9782807103658

damas perfect dayÀ travers ce monologue, écrit pour l’actrice Hélène Theunissen, nous suivons le quotidien de Marie Couturier, une sexagénaire célibataire qui doute beaucoup et n’aime pas voir son corps vieillir. Ce corps, qu’elle n’aimait déjà pas dans sa jeunesse et qu’elle aurait dû pourtant aimer, n’est aujourd’hui plus que l’ombre de ce corps passé avec ses bras fripés, ses rides, ses pattes d’oie, ses dents que l’on bichonne pour qu’elles ne se déchaussent pas, ses quelques poils blancs sur le pubis, sa cellulite, les contours du visage qui s’affaissent, ses chevilles qui s’épaississent… Marie voit la vieillesse comme une guerre, un bombardement sans fin. Ce qu’elle craint le plus, c’est de ne plus jamais faire l’amour. Peut-être a-t-elle déjà vécu sa dernière fois ? Sera-t-elle encore objet de désir et de fantasme ? La vieillesse ne peut-elle pas aussi être le champ de tous les possibles ? Continuer la lecture

Le livre du père

Mehtap TEKE, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi, Viviane Hamy, 2022, 256 p., 18,90 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-38140-024-2

teke petite je disais que je voulais me marier avec toiLa rentrée littéraire 2022 accorde une large place aux premiers romans : 90 sur les 345 romans francophones annoncés, selon le décompte de Livres Hebdo. Mehtap Teke est l’une de ces nouvelles plumes à découvrir. Paru aux éditions Viviane Hamy, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi conte l’histoire d’un homme qui, dans l’espoir d’une vie meilleure, quitte sa Turquie natale pour l’Europe occidentale.

Le roman est presque entièrement écrit à la deuxième personne du singulier : si la narratrice, une jeune femme, raconte l’histoire de son père, elle la raconte aussi à son père. Et retrace le parcours de vie d’un enfant pauvre né en Turquie, retiré tôt de l’école où il excellait. Arraché à ses rêves intellectuels, il est contraint de travailler dans les champs de coton avec son père, puis de quitter son pays d’origine pour rejoindre l’Europe occidentale, en quête d’une vie meilleure. Là-bas, il besogne sur des chantiers de construction, devient père d’une famille nombreuse. Avec une obsession : offrir à ses filles les possibilités et l’aisance sociale et financière dont il a été privé. Continuer la lecture

Où en sommes-nous avec la mort ?

Un coup de cœur du Carnet

Anne GUINOT, Un si profond silence, Âme de la Colline, 2021, 178 p., 15 €, ISBN : 978-2-9602025-2-6

guinot un si profond silenceAnne Guinot est née en 1983 dans « un pays de forêts et de rivières ». Elle vit en Belgique depuis 2008 (Bruxelles d’abord, le Condroz ensuite). Un si profond silence est son premier livre. Un lieu de mots d’où elle nous parle de comment sa vie s’est figée quand elle a perdu sa mère, alors enceinte de jumeaux, et de comment le silence s’est installé dans son corps. Elle avait deux ans. Continuer la lecture

Percée dans l’enfance contuse

Véronica LENNE, À l’ombre du ventre, Tétras Lyre, 2020, 66 p., 14 €, ISBN : 978-2-930685-51-9

En plaçant en exergue Boris Cyrulnik qui nous affirme “la famille, ce havre de sécurité, et en même temps le lieu de la violence extrême”, Véronica Lenne, psychopraticienne et poétesse bruxelloise nous prévient : À l’ombre du ventre nous emmène, avant de nous plonger dans le vif du propos, au sein d’une figure maternelle dure, voire violente. Continuer la lecture

Une étoile solitaire à la recherche de la rédemption

Un coup de cœur du Carnet

Martine ROUHART, Les fantômes de Théodore, Murmure des soirs, 2020, 116 p., 16 €, ISBN : 978-2-930657-60-8

Comme tous les dimanches, Charlie rend visite à son père Théodore. Ces deux-là sont unis par une belle complicité où les mots sont superflus : contemplatifs, ils aiment se gorger des petites contingences de la vie. Continuer la lecture

Entre ici, Marie Denis…

Un coup de cœur du Carnet

Marie DENIS, L’odeur du père, Névrosée, coll. « Femmes de lettres oubliées », 2019, 110 p., 14 € / ePub : 8.99 €, ISBN : 978-2-931048-20-7

Il est des textes qui, une fois lus, se déposent en vous, et mènent dans les tréfonds de votre sensibilité un lent travail d’irrigation phréatique, dont l’impact réel peut prendre des mois, des années à se mesurer. Ainsi, immanquablement, L’odeur du père de Marie Denis, publié pour la première fois en 1972 chez le très confidentiel Robert Morel – qui proposait des petits ouvrages d’un format atypique, tout cartonnés de blanc, et où le texte commençait à même la première de couverture… Continuer la lecture

Sur les traces d’une mère fantôme

Michel TORREKENS, L’hirondelle des Andes, Zellige, coll. « Vents du Nord », 2019, 204 p., 20 €, ISBN : 978-2-914773-91-1

L’hirondelle des Andes.
Un titre poétique, qui fait rêver.
Un roman qui entrelace les beautés fulgurantes, paysages, villes, d’un périple à travers le Pérou, et les sentiments mêlés de la jeune voyageuse qui s’y est lancée comme on relève un défi. Continuer la lecture

Dominique Loreau. Quête et impossibles retrouvailles

Dominique LOREAU, Motus, Tandem, Coll. « Alentours », 2019, 64 p., ISBN : 978-2-87349-137-6

Comment survivre à un père mort ? Comment se sauver du néant, reconquérir le fil qui s’est rompu entre le père et soi, entre soi et soi ? Dans Motus, un recueil de textes poétiques rythmés par des photographies, la cinéaste et poète Dominique Loreau tend l’oreille à ce que son père, le philosophe Max Loreau, lui a légué, à ce qu’il a transmis comme impossible. Les textes sondent une énigme, tournoient autour d’une absence, d’un éloignement que viendra sceller la mort du père. Motus et bouche cousue, motus et lèvres qui mettent en mots la béance, le manque… Dominique Loreau lance une lettre au père, moins dans la veine de celle de Kafka que sous la forme d’une quête et d’un combat. Max Loreau (1928-1990), le philosophe qui renouvela la phénoménologie, qui fit de la peinture, des arts le kairos d’une autre pensée, Max Loreau, professeur à l’ULB, auteur d’une œuvre innervée par la question des commencements, se voit reconnecté à son « motus », au mouvement interne qui, commandant sa vie, impulsa sa pensée. Continuer la lecture

Le féminin et la parole défaillante

Christine VAN ACKER, Je vous regarde partir. Poèmes, Arbre à paroles, 2019, 66 p., 12 €, ISBN : 978-2-87406-680-1

On le sait, les femmes écrivains accordent une attention éminente à la relation entre l’enfant qu’elles furent et leurs parents, leur mère en particulier. Cette remémoration peut prendre diverses tournures, généralement plus proches de la récrimination que de l’idéalisation. Christine Van Acker, quant à elle, adopte une position tout en nuances, combinant le reproche et la tendresse, l’apitoiement et la perplexité, la souffrance et la joie de vivre. Plutôt que la formule du récit, elle a choisi celle du recueil de poèmes, plus libre, plus fragmentaire, non sans analogies avec le journal intime – un journal inspiré en l’occurrence non par les faits actuels, mais par le souvenir des faits passés, de l’enfance de l’héroïne à la mort de ses parents. Je vous regarde partir, toutefois, présente une structure non pas diariste mais ternaire et dyschronique. En effet, jusqu’à la p. 17, les poèmes évoquent le grand Départ et le deuil qui s’ensuit. Des pages 18 à 40, on assiste à un retour en arrière vers l’époque de l’enfance. La dernière partie, enfin, cible la période du vieillissement et de l’agonie. Cette tripartition non linéaire montre clairement que, en matière de questionnement autobiographique, la recherche du sens est de nature foncièrement rétrospective : c’est après-coup seulement que, l’irrémédiable étant advenu, le sujet peut procéder à une tentative de bilan mémoriel et affectif, où la vie cède le pas au vécu. « Vous emporterez avec vous / ce qui nous regarde / et ne vous appartenait pas ». Continuer la lecture

L’adoption est une road-story

Isabelle SPAAK et Florence BILLET, Une mère etc., Iconoclaste, 2019, 192 p., 17 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-37880-071-0

Isabelle Spaak, prix Rossel 2004 pour Ça ne se fait pas, revient aujourd’hui avec un récit aiguisé, publié chez L’iconoclaste.

Qui peut me dire s’il connaît un enfant adopté en paix avec lui-même ? En dépit de toute la ferveur du monde, ces laissés-pour-compte des premiers jours fuient de toutes parts, tel un vase percé.

C’est à une exploration des alchimies familiales, de leurs mystères, que nous convie l’autrice d’Une mère, etc., s’inspirant cette fois de l’histoire vraie de Florence Billet, née en Colombie, française d’adoption. Depuis les pages, le vécu uppercute : si Florence est renommée Emmanuelle dans la fiction, c’est le véritable nom de sa mère biologique qui est inscrit, et l’enchaînement des épisodes de vie ont tout de la cadence singulière, tacchycardique, de l’authenticité – ou peut-être, et c’est sans doute encore plus vrai : de l’urgence. Continuer la lecture

Respirer des mots

Véronique JANZYK, La robe de nuit, ONLIT, 2018, 80 p., 9 € / ePub : 5.49 €, ISBN : 978-2-87560-106-3

Les mots que l’on respire ce sont les fleurs d’un bouquet dont on demande le nom.

Ce serait l’apaisement, le côté positif et l’espoir qui l’emportent dans ce livre de Véronique Janzyk qui tout de même en appelle à la compassion. Continuer la lecture

Les mots sont des lucioles

Leïla HOUARI, Ni langue ni pays, L’Harmattan, 2018, 174 p., 17,50 €, ISBN : 978-2-343-14190-9

houari ni langue ni pays.jpgNous l’avions découverte, voici sept ans, dans Les rives identitaires, un « récit nomade » frémissant d’espoir et de rébellion, de joie de vivre et de détresse.

Née à Casablanca en 1958, belge d’adoption et de cœur (sa famille s’établissait à Bruxelles dès 1965), Leïla Houari, qui avait publié auparavant un roman, des nouvelles, des poèmes, une pièce de théâtre, proposait ensuite Cuisine intérieur (2014), un livre débordant de saveurs et de fantaisie, mais qui faisait la part de la mélancolie, dans le sillage de Jean-Claude Pirotte, cité en exergue : « Je ne suis ni d’ici ni d’ailleurs et sans cesse chassé de moi-même ». Continuer la lecture

L’« effet mère »

Élise BUSSIÈRE, Mal de mère, Mols, 2018, 128 p., 15,90 €, ISBN : 978-2-87402-238-8

bussiere mal de mere.jpgOn le scande depuis plusieurs décennies : « La maternité doit être un choix libre et réfléchi. » Certes, mais avoir le choix, décider de devenir mère, se penser mère, entre immanence et liberté morale, nager dans les courants des « avoir un enfant, c’est formidable ! », du sacro-saint mythe de la bonne mère et des « cela va de soi » prétendument maternels ; choisir de donner la vie, se transformer en une jeune accouchée et sombrer, être engloutie… Un fait qui touche à l’indicible, une parole qui semble inaudible que le deuxième roman d’Élise Bussière libère. Continuer la lecture

Devant soi, vingt ans de bon

Un coup de cœur du Carnet

Ariane LE FORT, Partir avant la fin, Seuil, 2018, 173 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2021385540

le fort partir avant la finLe précédent roman d’Ariane Le Fort datait de 2013, et la lauréate du Prix Rossel 2003, qui publie avec une certaine parcimonie, nous propose chaque fois un travail précis, d’une écriture retenue et rigoureuse, avec un sens du concret le plus réaliste empreint de tact, de tendresse et d’ironie, et un désenchantement qui ne se prive cependant pas du goût de vivre. Partir avant la fin qui vient tout juste de paraître au Seuil s’entend dès l’abord à double entrée, laissant penser à une décision de quitter cette vie avant sa décrépitude ou de rompre une liaison avant la déception. Et le roman croise en effet et fait se rejoindre les deux thématiques d’une mère perdant peu à peu la mémoire mais obstinée à vouloir marcher dans la mer sans s’arrêter pour s’y noyer, et d’une femme entre deux amours qui a le chic, dit-elle, de remplacer une illusion par une autre. Continuer la lecture

D’une Audrey à l’autre

Pascale TOUSSAINT, Audrey H., Samsa, 2017, 144 p., 14 €, ISBN : 2875931415

toussaint audrey h.jpgPremière Audrey du livre de Pascale Toussaint, Audrey H.: la narratrice, bibliothécaire, spécialiste des biographies de femmes (George Sand, Colette…), aimée de Jean, son compagnon attentif, tendre et malicieux.

Un caractère net, franc, parfois tranchant, sans complaisances (« Aujourd’hui, j’ai cinquante ans. Et je fais mon âge »), volontiers caustique (« Aujourd’hui encore, les femmes « méritantes » m’horripilent »). Doublé d’une nature inquiète, doutant d’elle-même, guettant anxieusement son image dans les miroirs, se liant difficilement (pas d’amies vraies dans son paysage), que sa pudeur retient au creux de silences dont elle garde quelquefois des regrets cuisants : Continuer la lecture

Amélie Nothomb frappe juste

Un coup de cœur du Carnet

Amélie NOTHOMB, Frappe-toi le cœur, Albin Michel, 2017, 168 p., 16.90€/ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-226-39916-8

nothomb frappe toi le coeurIl y a vingt-cinq ans, en 1992, paraissait Hygiène de l’assassin, premier roman d’Amélie Nothomb et acte inaugural d’une œuvre ample et singulière. Aujourd’hui, la romancière célèbre ses cinq lustres de création littéraire – et autant d’années passées chez le même éditeur, Albin Michel – avec un vingt-sixième roman qui ouvre la rentrée littéraire : Frappe-toi le cœur. Placé sous le signe de Musset à qui il emprunte son titre, l’ouvrage est à la hauteur de l’événement.  Continuer la lecture