Les mots d’Hubert de Four de Bucquentois-Lithurgue

Christine VAN ACKER, Mon cher ami, Merlin, Les déjeuners sur l’herbe, 2015, 148 p., 15€

Ce nouveau roman de Christine Van Acker, dont Ici publié aux éditions Le Dilettante nous avait tant impressionné, commence par une astuce narrative pour renforcer la  crédibilité du récit qui va suivre. Un père, accompagné de sa fille Constance au cimetière du village, se recueille sur la tombe de son père et sur celle d’un couple d’amis, Constance (à nouveau) et Hubert de Four de Bucquentois-Lithurgue. Sur une plaque, ces mots : « À mon cher ami ».

La suite est une lettre de ce père à sa fille pour lui raconter les liens particuliers qui l’unirent à ce noble d’un autre temps. Suite à une rencontre assez cocasse dont le hasard a le secret, le narrateur, l’encore juvénile Guillaume, fait la connaissance du châtelain, baron de son état.

Une amitié rare va naître entre l’aîné et le jeune garçon, nourrie de leurs différences. Hubert est policé, vit dans l’aisance et a développé une philosophie de vie hors normes. Guillaume a un langage spontané, est fils d’un couple séparé, une mère sans le sou et un père licencié de son usine de chocolat. Leur amitié se scelle à la croisée de ces deux mondes que tout oppose. C’est ainsi que, méfiante, la mère craint que rien de bon ne puisse arriver à son fils en fréquentant « ces gens-là ».

Le baron à la personnalité originale, gentleman contemplatif qui a gardé une innocence enfantine, vit hors du temps et ouvre les yeux de Guillaume sur des univers jusque-là ignorés : celui des mots, tellement riches, comme badine, maritorne ou pugilistique, et celui de la nature, en particulier l’univers des oiseaux comme l’épervier, le geai ou l’incroyable sitelle torchepot. Il l’initie à « la forêt exempte de sauvagerie humaine, la forêt animale où le perdant n’est jamais humilié, où chacun trouve sa place, qu’il soit dominant ou dominé ».

Christine VAN ACKERLe monde des hommes le fascine tout autant, notamment le site de la Forge Rousseau, où l’on travaillait le fer à la force du maka. Même si Guillaume, enfant de son temps, reste branché sur son GSM et engouffre des chips, il est intrigué par ces lieux qui furent le théâtre d’une intense activité révolue : « Fallait-il qu’une chose soit morte aujourd’hui pour qu’une autre puisse naître demain ? », se demande-t-il.

Émouvant et sensible, ce roman d’apprentissage est servi par une écriture sans fioritures, avec des touches d’humour (on n’est pas près d’oublier le soikiki, un improbable dialecte) et suscite la sympathie du lecteur pour les personnages.

Michel TORREKENS