Bruno WAJSKOP, Funny Reich. La série. Épisode 1, L’impératif imparfait, Marque belge, 2015, 158 p., 15 € ; Épisode 2, Le conditionnel automatique, Marque belge, 2015, 128 p., 13 €
Éditeur, écrivain (Anarchie (copyright), Iljeon, 1995. On n’est pas sérieux quand il y a 17 ans), Bruno Wajskop nous entraîne aujourd’hui à la découverte ébouriffante de son Funny Reich, un roman-fable où l’imagination rejoint la science-fiction.
Funny Reich, c’est le nom du monde nouveau qu’il appartient à la jeunesse de fonder, après que le mystérieux désastre du Demodex a emporté les adultes de plus de trente ans. Un monde qui se veut, se proclame hardiment fun, nice, cool, sympa. Les idées fusent dans tous les sens, les images dansent, l’avenir gonfle ses voiles.
Haro sur les quand je pense, ces grognons nostalgiques qui renâclent à tourner la page et osent penser que c’était mieux hier, alors qu’il est interdit désormais de « se prendre la tête », de se référer au passé – qui doit être allégrement aboli, comme sont ensevelis les souvenirs.
Confronté à ces consignes renversantes, Edito, qui avait dix-sept ans quand le Demodex l’a rendu orphelin et dépouillé de ses repères, se sent d’abord inquiet, un peu désemparé. Courtier en attendus, c’est-à-dire chargé de « rédiger des arguments juridiques pour des causes dont il ne connaît pas les parties » ( !), il contribue modestement à l’élaboration de cette société innovante.
Désireux de mériter sa place au sein des Sections, il se laisse gagner par l’enthousiasme ; épouse la philosophie, la politique du Reich : « Ne pas se plaindre être heureux chaque jour être sympa les uns avec les autres […] ne jamais désespérer croire en soi […] et toujours aller de l’avant ».
Toute l’Histoire nous montre que le monde n’a cessé de s’adapter, puis de réparer, d’une guerre à l’autre, d’une faillite à l’autre. Notre monde nous appartient, inventons-le sans nous soucier du passé.
Équipé de son device, entouré d’une ordonnance, Manuel, puis d’une assistante, la jolie et sensuelle Bonbon, Edito se rapproche des cercles du pouvoir , incarné par le singulier Mustapha, qui vous hypnotise tel un magicien, et qui lui confie une mission d’agent double. Car le Reich n’a pas que des alliés…
C’est Bonbon qui prend la parole dans le deuxième volume. Livrée à elle-même à quatorze ans, suite au Demodex, elle s’est lancée dans une vie vagabonde, débridée, d’artiste. S’étant cataloguée Rebel à peine sortie de l’enfance, puis Lateral, car, proche du Reich, elle préférait marcher à côté, elle acceptera de former, avec Edito et Manuel, un trio qui s’engage à porter, protéger, éduquer ce jeune monde affranchi de la mémoire, de l’ombre des parents disparus qui risquait de gâcher la fête. À partir rencontrer, écouter, convaincre les populations de cette libre joie qui transformera, ensoleillera leurs jour
Les péripéties ne manqueront pas sur leur chemin… Mais on se lasse au fil du récit, d’autant que Bonbon le crible de vocables anglais, de mots crus, et de tics jusqu’à saturation.
On aurait aimé davantage de traits d’ironie, tel celui qui nous tiendra lieu de mot de la fin :
Il y a une part de l’humanité avec laquelle on se sent mieux quand elle est absente, ou invisible, et en tout cas quand elle n’est pas envahissante.
Francine GHYSEN