Les traces inéluctables des lignes de faille

Martine ROUHART, Séparations, Liège, Dricot, 2015, 240p., 17€

Contrairement à ce que le titre du roman, Séparations, peut nous laisser présager, nous n’allons pas plonger dans une série d’histoires douloureuses et plaintives de ruptures. Le récit est divisé en dix tableaux, que l’on pourrait considérer comme des nouvelles, si elles n’étaient pas reliées entre elles par des personnages tantôt secondaires dans tel chapitre, tantôt centraux dans tel autre.

Deux familles présentées en deux générations évoluent ainsi au fil des années et rebondissent avec les moyens qu’elles ont face à l’adversité. Il est difficile d’être indifférent à Liliane, Guillaume, Cécile, Anne, Simon, Jacques, Manon et les autres. On les voit se transformer, ballotés de séparations en nouveaux départs, de certitudes en doutes. On les voit guérir de blessures qu’ils croyaient incurables ou buter sur des idées fixes auxquelles ils accordent parfois une importance qui peut faire sourire.

« Les interrogations de Simon ne butaient plus comme autrefois sur des certitudes. Les conversations sincères et profondes qu’il avait eues avec Alexandre au cours de ces années avaient fini par creuser une brèche dans son esprit. Et quelle brèche ! Presque un abîme, qui remettait en question ses croyances et ses vérités les plus enracinées. »

Les histoires sont placées dans l’ordre chronologique et, si le lecteur veut connaître les suites des aventures de tel personnage, il lui est nécessaire de lire tous les chapitres afin d’apprendre parfois incidemment le trajet dudit personnage dans un tableau où il n’a qu’une place secondaire. Un procédé habile qui tient le lecteur en haleine face à toutes ces situations de ruptures bien concrètes et parfois délicates.

En effet, nous n’avons pas droit qu’à des histoires de ruptures amoureuses, amicales, de maladies, de morts. Bien sûr, il y en a. Il y a de la jalousie, de la déception, de l’amertume, de la vengeance inassouvie, mais il y a aussi tous ces liens tissés distendus, balafrés, parfois rompus, et qui font pourtant partie de la vie. Ainsi, on pourra découvrir les dégâts d’un secret familial sur l’inconscient d’un mari, le combat d’une fille pour prendre son indépendance face à une mère fusionnelle, la froide rancœur d’une jeune femme contre son ex-belle-mère, l’empathie cachée d’un neurochirurgien pour un patient atteint d’une tétraplégie irréversible, l’ambivalence d’une relation sous emprise…

« Mais pourquoi une telle vénération, se dit-elle au souvenir de l’attitude de Simon ces derniers temps. Dans une sorte d’irrévérence envers celui qui avait contrôlé sa vie jusqu’ici, Cécile sentit ce que l’admiration avait d’esthétisant, portant souvent sur des qualités et perfections sans aucun rapport avec la morale. Sur sa lancée, elle pensa aussi à tout ce qu’il lui avait volé. À tout ce qu’elle n’avait jamais osé faire ou dire, à tous ceux et celles auxquels il l’avait arrachée. […] Presque sans transition, elle songea combien elle était heureuse d’être en fin de compte la seule qui comptât pour lui. »

Dans son dernier chapitre, l’auteure prend le temps d’expliquer en quelques lignes les raisons du choix du thème :

« Que serait une vie sans séparations ? Les ruptures nous accompagnent dès le début en nous arrachant du ventre maternel, jusqu’à la fin ultime qui nous arrache à la vie, même si l’on n’est pas conscient de passer la première porte ni parfois la dernière. Entre les deux, c’est une suite de dislocations et cassures qui façonnent l’existence et lui servent de repères, une ligne brisée avec, forcément, des hauts et des bas. Déjà, la vérité et le mensonge, comme d’ailleurs tous les sentiments, rapprochent ou séparent. […] Maintes fractures sont invisibles, passent sans que l’on s’en rende compte, opérant tout au fond de nous et presque à notre insu. […] [A]u fond, aucune rupture n’est vraiment neutre. Toutes laissent une trace. Les séparations renversent toujours. Soudain, on est devenu autre tout en restant soi-même. »

Deux petits bémols sont toutefois à pointer dans ce roman. Plus d’une vingtaine de fautes d’orthographe et une quinzaine d’erreurs de ponctuation viennent ternir le plaisir de la lecture. En outre, dans sa volonté quelque peu dirigiste de montrer minutieusement la psychologie de ses héros, Martine Rouhart bascule souvent dans un style explicatif qui ne laisse pas au lecteur la possibilité d’agrémenter les personnages de la petite touche propre à son imagination.

Séverine RADOUX