Romanistes et romanciers. Actes du colloque organisé par l’Association des Romanistes Ulg en mars 2012, textes recueillis par Daniel Charneux, Christian Delcourt et Janine Delcourt-Angélique, Editions de la Province de Liège, 2014, 304 p., 20 €
À l’initiative de l’Association des Romanistes de l’Université de Liège, présidée par Jeanne Delcourt-Angélique, des écrivains-romanistes issus des différentes universités du pays ont été invités à participer à un colloque accueilli par Jacques De Decker sous l’égide de l’Académie. Leur mission : livrer leurs sentiments sur le rapport de ce cursus avec leur activité d’écrivain et sur son apport à leurs écrits. Il en résulte un livre rassemblant les actes de ce colloque où se déshabillent sous cet éclairage 36 écrivains marquants de chez nous (36 comme les chandelles de l’éblouissement…). Le rideau ouvert par France Bastia se refermera avec elle et avec son époux grammairien André Goosse. Quant à la présentation de cette entreprise, elle est assurée par Jeanne Delcourt-Angélique dans un avant-propos éclairant, circonstancié et exemplatif de ce supplément de technicité et de subtilité analytique dispensé par la formation de romaniste. Et c’est avec raison aussi que la présentatrice évite de citer les noms des romanciers dont elle reprend certains propos pour illustrer et cerner la diversité des ressentis et des orientations développés ensuite dans l’ensemble des prestations personnelles. Mais s’il s’agit d’écrivains uniquement nourris au biberon de ces études universitaires et s’ils représentent une part majoritaire des plumes les plus célébrées de notre bassin littéraire, les acteurs de ce colloque sont évidemment bien conscients que les romanes ne sont en rien un passage obligé pour que s’affirment un talent et une vocation de romancier, comme l’attestent bien des grands noms des lettres belges d’hier et d’aujourd’hui.
Au fil des écrits prolongeant les quatre tables rondes organisées à la faveur du colloque, on se rend compte aussi que le rapport à la discipline relève d’éléments à la fois constitutifs et extrinsèques. Pour beaucoup, c’est surtout à la personnalité exaltante d’un ou de plusieurs professeur(s) plus qu’à la technicité propre à ces études qu’ils doivent leur orientation et leur engagement dans la création littéraire. En contraste, certains maîtres pratiquent une stratégie plutôt réfrigérante à première vue en accueillant les arrivants par un avertissement du genre : « si vous venez ici pour devenir écrivain, prenez plutôt la porte ». Sans doute est-ce là une façon de rassurer les non-candidats à la carrière littéraire tout en mettant à l’épreuve la détermination des étudiants désireux d’armer leur vocation d’écrivain d’un regard élargi et/ou du soutien logistique de la philologie.
Cela dit, le mode de témoignage exprimé par les participants au colloque est (heureusement) aussi divers que leurs personnalités. Certains préfèrent se réfugier dans la mémoire anecdotique sans trop se prononcer sur l’apport de ces études à leur parcours, d’autres sont plus enclins à y voir une sorte de passage obligé pour faire les études universitaires les moins en porte-à-faux avec leur tempérament, certains, plus rares encore, nient ou ne voient pas un rapport direct de cet enseignement avec leur orientation de romanciers. Il n’empêche que pour la plupart, ils ont été marqués par ce passage et souvent, comme on l’a dit, par une personnalité particulièrement charismatique. Mais cet enseignement a-t-il réellement déclenché des vocations ? Certains l’affirment, mais d’autres témoignages plus flamboyants professent que l’on ne devient pas, mais que l’on nait écrivain, quand d’autres affirment que sans ce passage, ils n’auraient sans doute jamais pris la plume.
C’est donc à la vision lucide de France Bastia qu’il faut s’en remettre : « Bref, on serait tenté de conclure, au vu de tant d’avis exprimant tout et son contraire, que l’université en général et les romanes en particulier sont finalement pareilles à cette auberge dite espagnole où chacun ne trouve que ce qu’il a lui-même apporté« . Propos non péjoratif car « la vocation première d’une Alma mater n’est-elle pas de faire découvrir à l’étudiant ce qu’il a dans sa propre besace ?«
Ajoutons qu’à sonder la diversité et l’évidente sincérité de témoignages qui fourragent volontiers dans l’intime, on est tenté de se dire que leur intérêt majeur réside dans la découverte plus en profondeur de leurs auteurs par le biais d’un parcours qui a contribué à leur construction. Et que ces actes mériteraient aussi bien de s’intituler « Romanistes et psychanalyse ».
Ghislain COTTON