Un coup de coeur du Carnet
François EMMANUEL, 33 chambres d’amour, Paris, Seuil, 2016, 192 p., 17 €/ePub : 11,99 €
Les écrivains belges ont une prédilection pour les chambres. Qu’ils en situent trois à Manhattan (Simenon), qu’ils les garnissent de miroirs pour y poursuivre leur expérience continue (Nougé), qu’ils y observent la nuit remuer (Michaux), dans leur imaginaire, ces espaces clos s’ouvrent sur tous les possibles. François Emmanuel s’est, lui aussi, laissé happer par l’attraction camérale et nous emmène dans une ronde tout à tour sensuelle, érotique, charnelle, déclinée en trente-trois portraits de femmes.
Presque chacune des figures présentées ici est une professionnelle, dans la mesure où la libido qui les dirige, leur façon de l’assouvir, la relation qu’elles proposent de vivre, sont largement tributaires de leur travail. Ainsi, le narrateur – « je » comblé par le destin, et qui tient lieu de moyeu à cette roue de la fortune dont il lui est offert d’explorer les trente-trois rayons – connaîtra-t-il tour à tour une cardiologue, une voyante, une psychanalyste, une criminologue, une professeure de philo, une couturière, ou, plus atypiques, une restauratrice de cartes anciennes, une dompteuse, une sacristine…
L’ode composée n’est pas vouée qu’à la féminisation des noms de métiers, mais à la Femme, éternellement majuscule et mystérieuse, rencontrée « sur la crête du hasard ». Quelques pages suffisent à l’écrivain pour donner densité et destinée à ces créatures auxquelles le lecteur demeure libre de fantasmer un prénom et de prêter un physique, puisqu’elles flottent dans un systématique anonymat et ne sont décrites qu’à travers des gestes, des attitudes, une allure, soit la part chorégraphique de leur existence. En un exercice de style d’une élégance parfaite, la phrase d’Emmanuel épouse les doigts de la botaniste, quand ils pincent une campanule et en évasent la collerette ; la langue mouillée de diphtongues, si émouvantes en leurs maladresses mêmes, de l’interprète ; les trémulations et les secousses intimes, furioso ma non troppo, de la violoncelliste ; les effleurements satinés d’une technicienne de surface native du Harar… Délicate à l’extrême, elle se garde de découvrir le visage de « la femme voilée », qui apporte au condamné son lot de fruits secs mêlé de caresses chuchotées, ou encore d’insister à la porte désormais close de « la femme d’intérieur », expiant ses égarements par un retour strict à ses activités domestiques.
À propos de la chanteuse de jazz, oscillant entre la question rhétorique et l’ébauche d’une méthode, Emmanuel a cette formule : « De l’amour comment parler ». Mais ainsi, aurait-on envie de répondre, juste ainsi, et pas autrement…
Ping : Le top 2016 (2) | Le Carnet et les Instants