L’espoir d’un corps nomade

Caroline COPPÉ, Nommons le mot nomade, Bruxelles, Éléments de langage, « O.L.N.I. », 2016, 14€

Engoncé dans les trivialités et les habitudes, il ne reste au corps que peu d’espace pour respirer. La conséquence, un corps qui tend à se murer dans le silence, à s’épargner, à s’exposer dans le retrait. Avec ce quatrième recueil, Caroline Coppé poursuit en quelque sorte l’échange entamé dans son précédent ouvrage, Langue morte suivie du flou, publié en 2009 à L’Arbre à paroles. Un échange fragmenté entre Elle et Lui où les courtes saynètes à haute teneur métaphysique s’enchaînent, découpées comme le synopsis d’un scénario. De prime abord, ce découpage disparate peut désarçonner. Mais c’est que cette dysharmonie voulue fait partie intégrante du propos. Très rapidement, le lecteur retrouve son chemin en isolant les obsessions qui balisent le dialogue scandé qu’il est par quelques passages en italique résonnant telles des didascalies intimes. Au final, une architecture complexe pour ce recueil au titre allitératif qui trouve naturellement sa place dans cette catégorie des O.L.N.I (Objets Littéraires Non Identifiés) imaginé par Nicolas Chieusse, initiateur du comptoir éditorial Éléments de langage.

Lui

J’observe. J’aimerais que la transformation des objets et des corps soit captable par le regard. […]

Et ces deux âmes errantes qui font leurs valises, qui ne cessent jamais de faire leurs valises.

À l’image des corps, les fils rouges s’interpénètrent, habilement, subtilement. La partition étroite entre le corps et la langue maternelle se joue à demi-mots tout au long du texte. Dès lors, afin de redonner la parole au corps, ne faudrait-il pas plonger délibérément dans les strates d’un temps d’avant le langage ? Comment y parvenir ? Comment éviter les pièges de l’habitude, du métro bondé, des boulots intérimaires qui s’enchaînent, des garanties locatives, de la vacuité des réseaux sociaux et des denrées trop bien rangées sur les rayons des supermarchés ? En somme, comment asseoir la relève des corps dans ce quotidien vite périssable ?

Le sang qui coule dans mes veines est une sorte d’habitude qui se répand dans le silence du corps. Et s’il n’y a plus de corps, le silence est enfoui, juste en dessous du bruit.

Sur la colonne vertébrale de la linguistique, des temps immémoriaux sont gravés à même l’oralité.

Inaudible à force d’environnement trop bruyant, le corps s’enlise. Une des échappatoires que propose, en filigrane, Caroline Coppé serait d’investir le champ – le chant ? – du corps en mouvement, dépouillé du surplus, de la mise en scène et bercé par le vent des routes.

Régulièrement, je fais les cent pas dans mon appartement guettant l’occasion de claquer la porte, d’en ouvrir une autre donnant sur un sentier peuplé d’hirondelles.

Sacrifiant parfois au grand rituel du mystère, l’écriture personnelle de l’auteur puise dans les mémoires innombrables, et arrive, par instants, à raviver les souvenirs « nomades » d’une langue ancestrale. Le souffle d’une écholalie primale.

Rony DEMAESENEER