Corinne HOEX, L’Été de la rainette, Le Cormier, 31 p., 10€
Le conditionnel est-il un mode ou un temps ? Le débat, loin d’être clos entre grammairiens et linguistes, pourrait trouver une ébauche de solution chez les poètes, en l’occurrence ici chez une poétesse. En effet, dans la plaquette L’Été de la rainette, qu’elle publie à l’enseigne du Cormier, Corinne Hoex ouvre tous ses textes par un énigmatique « Ce serait… ». Par là, un processus très subtil se réamorce dans l’esprit du lecteur, qui consiste à situer la scène dans laquelle il refait à chaque fois irruption entre l’imaginaire hypothétique et l’imparfait du souvenir évanescent.
Comment mieux retisser la trame effilochée de la mémoire que par cette trouvaille syntaxique élémentaire ? « Ce serait l’été », et l’atmosphère se cristallise, l’air se charge de pollen et d’une lumière pas encore trop vive et déjà duveteuse. « Ce serait l’été / Sous la table d’osier » « […] dans l’herbe entre les souliers vides et les pieds nus des vieilles dames » « […] dans ce jardin » « […] dans la torpeur de la sieste », et un décor se dessine, celui familier où évolue une gamine de sept ans. Une éponge à réel, à sensations, à jeux et à sautes d’humeur.
Puis il y a les présences qui circulent autour, et se manifestent plutôt dans un registre sonore. Un chien aboyant dans une maison voisine, des roucoulements, des gazouillis, des « bourdonnements d’abeilles parmi les roses », les notes égrenées du « phonographe et du pays des rêves », des voix enfin qui vous bercent la conscience en y immisçant « une paresse que l’oreille laisse fondre » ou qui vous chatouillent, comme les blagues dont l’oncle Armand est intarissable.
Cet été-là, l’été de la rainette, entre la menace des chouettes et les ritournelles mnémotechniques des devoirs de vacances (joujoux bijoux etc.), il s’est passé quelque chose. Peut-être rien ou du moins pas grand-chose, mais qui a suffi à rompre la soie pourtant solide de l’enfance. Une petite fille s’est aventurée sur les cases d’un jeu de l’oie à dimension d’adulte, elle a remarqué que le ciel tout entier pouvait se refléter dans un verre de lunettes. Elle a décidé de ne plus se couper les ongles, et aussi qu’il « faudrait écouter. Écouter mieux cette tourterelle perchée dans l’arbre ».
Cet été-là, ce serait donc la plume à nouveau étrange et envoûtante de Corinne Hoex, optant pour un minimalisme qui n’est en rien serf de la facilité, mais de l’extrême délicatesse et de la pure sensibilité.
Samia HAMMAMI