« Il y a » toujours du Pirotte dans l’air…

Jean-Claude PIROTTE, Didier CROS (ill.), Il y a, Landemer, Motus, coll. « Pommes Pirates Papillons », 2016, 10,40€

pirotteLe lecteur qui comme nous, depuis la publication de La pluie à Rethel, aura mis ses pas dans les sillons argileux de l’écriture de Jean-Claude Pirotte, sera sans doute touché par ces derniers mots écrits quelques semaines avant sa disparition en mai 2014. Réunis par les éditions Motus, ces trente-trois quatrains à la facture faussement naïve s’adressent d’abord aux jeunes lecteurs fidèles à la collection Pommes Pirates Papillons. Illustrés par les monotypes du peintre Didier Cros dont l’univers d’ailleurs inspirait l’illustrateur qu’il était aussi, les poèmes de Pirotte rassemblés ici résonnent comme autant de comptines rimées. Trente-trois stations d’une Cavale (La Table ronde, 1999) dont l’ensemble résumerait, en condensé, les thèmes qui courent à travers l’œuvre dense, du Mont Afrique (Le Cherche Midi, 1999) à l’exil d’Un été dans la Combe (La Longue Vue, 1986).

Avec cette tendresse à la fois âpre et diffuse qui caractérise son style, il y a comme un air de petites fugues dans ces courts poèmes que l’on fredonnerait le soir au bambin ou simplement que l’on retiendrait pour soi. Des chansonnettes que l’auteur, dans une ultime joute d’écriture, aurait écrites en se débarrassant de tout oripeau superflu pour ne garder que l’extrême éclat du jaillissement.

A l’image des dessins de Didier Cros, les textes oscillent dans ce clair-obscur de la mémoire qui, chère à l’auteur, distille les souvenirs lacérés de l’enfance. Les bouts rimés s’enchaînent et font ressurgir du passé ces petits riens qui composent pourtant le tout d’une vie. Gorgés du vent des routes et des contrées traversées, ces textes ne perdent pas pour autant de vue le temps présent avec ses nouvelles dérives, ses nouvelles obsessions.

devant ton écran tu es séparé

de tous tes copains qui sont mal barrés

il vaut mieux courir au fond des forêts

pas besoin de clic ni de chien d’arrêt

Dans ses mélanges parus en 2000 sous le titre Autres arpents, et dont nous pourrions faire assurément un de nos livres de chevet, Jean-Claude Pirotte revenait sur un serment de jeunesse :

Dans mon enfance, j’avais découvert une formule : nulla dies sine linea. Je me l’étais promis. Peut-être après tout ai-je tenu cette promesse.

Nul doute qu’il l’aura tenue jusqu’au bout, en notant ce dernier quatrain qui clôt l’ouvrage, comme une dernière invitation à le rejoindre sur ses terres :

j’aurai franchi les paysages

comme un oiseau dans ses voyages

j’aurai connu la terre entière

et j’aurai vu toutes les mers

Rony DEMAESENEER