Alice au pays quantique

Un coup de coeur du Carnet

Thibault DAMOUR, Mathieu BURNIAT, Le mystère du monde quantique, Dargaud, 2016, 162 p., 19.99 €

mystere-du-monde-quantiqueThibault Damour est un physicien de renom. Mathieu Burniat est un auteur de bandes dessinées élégantes et décalées. Ensemble, ils ont relevé un défi de taille : raconter ce qu’est la réalité.

La dernière aventure des célèbres héros Bob et Rick s’est mal terminée. Ils s’apprêtaient à explorer la lune pour en percer les secrets quand une météorite s’est abattue, brisant le casque de Rick, le chien, et le tuant sur le coup. Depuis, Bob déprime en relisant les albums de leurs exploits. Soudain, Rick, empaillé sur la cheminée, s’adresse à Bob : il est grand temps qu’il se remue et qu’il parte à la découverte de « l’ultime mystère » – la physique quantique, et ce qu’elle peut révéler sur la réalité. Bob tente mollement de résister en arguant qu’après tout, il n’est pas sérieux de parler à un chien mort. Rick lui répond que « dans le monde quantique, la notion de vie et de mort n’a que peu d’importance ».

Bob se rend donc au 25ème congrès Solvay. Bien entendu, il ne comprend rien aux interventions des conférenciers, et les équations l’étourdissent. C’est alors qu’il se sent irrésistiblement happé par son fauteuil. Il s’y enfonce. Le voilà dans une étrange campagne où un vieux bonhomme lui propose la crêpe qu’il vient de cuire sur un feu de bois. « – Je suis Max Planck. C’est moi qui, sans trop le savoir, ai ouvert les portes du monde quantique ». Bob, accompagné d’un Rick « ressuscité », entame alors un voyage à travers les notions fondamentales de la compréhension de la réalité, guidé par les pères de la physique quantique. Planck, Einstein, de Broglie, Heisenberg, Shrödinger, Bohr, Born, Everett se passent le relais, conversent, débattent, se nuancent ou se contredisent parfois, reconnaissent toujours leurs dettes et leurs doutes, déploient tout leur talent pour que Bob progresse sur sa route.

Thibault Damour et Mathieu Burniat réussissent leur pari et battent en brèche les vieux clichés que bon nombre d’entre nous conservent de leur scolarité pénible : non, les sciences ne sont pas ennuyeuses. La physique quantique fait peur parce qu’elle est complexe, Damour et Burniat ont compris qu’il fallait lui rendre son affect le plus approprié : l’enchantement. Parce que c’est de cela qu’il s’agit dans cette bande dessinée : enchanter la découverte de la réalité. Le mystère du monde quantique s’inscrit dans cette famille de livres qui regroupe tous ceux que les sciences avaient rebutés, tous ceux qui se découvrent passionnés avec Carlo Rovelli et ses Sept brèves leçons de physique, avec Pierre Bayard et Il existe d’autres mondes, avec le collectif Géodésiques : dix rencontres entre science et littérature. Enchanter l’apprentissage, cela ne veut pas dire que tout devient facile, et souvent les questions de Bob, qui a avoué sa nullité dans le domaine, sont les nôtres – « Einstein m’en a parlé, en effet… Mais je ne suis pas sûr d’avoir bien compris » – on peine avec lui, on avance avec lui, on s’émerveille avec lui. Bob est l’Alice au pays quantique.

Si l’enchantement fonctionne, c’est parce que l’explication ne peut se démêler d’une narration efficace, c’est parce que Damour a trouvé les métaphores les plus percutantes pour expliquer et parce que le dessin de Burniat est beau et fin : sa ligne claire nous installe dans un univers familier, enfantin ; ses envolées parfois délirantes évoquent impeccablement le sujet traité. Et ici, il faut bien reparler de métaphore : les décors traduisent les notions, le jeu sur les couleurs et le noir et blanc fait sens, tout semble simple et rien n’est gratuit. Les compositions de Burniat, en outre, servent délicieusement un des ingrédients essentiels du Mystère du monde quantique, l’indispensable sel d’un plat roboratif : l’humour.

Pour comprendre, il faut être frappé. Si le mathématicien Philippe Toint est aussi poète, ce n’est pas pour se détendre des mathématiques : ce qu’il aime dans le langage des maths, c’est justement sa beauté potentielle, son harmonie et son élégance, et le fait qu’une belle image peut faire jaillir la lumière dans un esprit. Voilà le genre de bande dessinée que Damour et Burniat nous mettent sous les yeux.

♦ Lire un extrait du Mystère du monde quantique proposé par Dargaud

 

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