Patrick DUPUIS, Enfin seuls ?, Avin, Luce Wilquin, 2016, 132 p.
Avec Enfin seul ?, son dernier recueil, Patrick Dupuis – fondateur, par ailleurs, des éditions Quadrature consacrées exclusivement à la publication de nouvelles – donne à nouveau cours à sa passion pour ce genre littéraire. Et cela au gré de vingt-six textes courts, souvent de quatre ou cinq pages, que l’on peut qualifier, à quelques exceptions près, de « brèves rencontres » qui pour être sans lendemain n’en sont pas pour autant sans retentissement dans l’existence des protagonistes avec, en éternelle invitée, cette épice aigre-douce de la vie qui s’appelle l’ironie du sort.
Dans une langue simple et sensible, l’auteur livre autant de petits tableaux, de regards sur un quotidien à première vue anodin, mais qui peuvent déboucher sur une réalité inattendue : heureuse, frustrante, consolante… ou dramatique comme dans « L’écharpe », la nouvelle qui ouvre le recueil et se concentre sur le récit d’une patronne de bar intriguée par un client solitaire incrusté dans l’établissement et qu’elle retrouve pendu dans la cave. Sale coup pour le chiffre d’affaire après la fermeture inévitable pour toute la journée… En fait, il pointe souvent, le drame. Avec, notamment, le suicide et surtout l’intention suicidaire provoquées par un abandon, un chagrin d’amour, une rencontre décevante ou un simple mal de vivre dont peut soudain guérir un simple petit geste d’humanité de la part d’un inconnu. Un élément banal peut aussi réveiller un souvenir salvateur du passé, comme le passage carillonnant d’un marchand de soupe ambulant ou comme un simple motif chevalin dans le tapis mural d’une chambre d’enfant. Le bonheur ou le plaisir tiennent parfois à bien peu de chose comme l’avantage d’échapper aux corvées familiales ou autres en étant calé dans un embouteillage « pour une bonne heure de tranquillité ». (Si ça, ce n’est pas de l’optimisme positif !). Le bonheur peut aussi trouver son bien dans un terrain pour le moins marécageux comme pour ce jeune homme de vingt ans à peine qui, après une soirée de bamboche, se réveille avec une solide gueule de bois aux côtés d’une inconnue dont il n’a aucun souvenir et qui, trente ans plus tard, sera toujours sa femme. Un homme peut aussi quitter le service funèbre lors des funérailles d’un oncle très cher pour mieux le retrouver au bord de la rivière où, autrefois, il lui a appris à pêcher.
En réalité, le personnage principal de ce recueil, c’est bien la solitude dans tous ses états, déjà impliquée dans le titre et colorée ou réorientée par un point d’interrogation. Qui pourrait être un « point d’ironie » si l’on s’en réfère à la locution coutumière sur le plaisir – souvent réel, par ailleurs – de se retrouver « loin de la foule déchaînée ». Comme dans « Hôpital-Silence » où un vieil homme hait les dimanches parce qu’il ne supporte pas les visites hebdomadaires et « faussement enjouées » de sa famille. Mais, point d’interrogation qui pourrait devenir aussi un « point d’optimisme » pour induire qu’il existe quand même une solidarité humaine dont la manifestation la plus infime peut arracher une grande solitude aux griffes du désespoir. Qu’il s’agisse du geste de sympathie d’un tenancier de friterie, de la sollicitude amicale d’un chauffeur de taxi ou de la présence réconfortante d’un quidam sur le même banc public…
Les flashes de Patrick Dupuis sur ces états d’âme souvent fugitifs témoignent avec simplicité d’un intérêt réel et profond pour l’humain et pour les énigmes et paradoxes de ses comportements comme de ses sentiments.
Ghislain COTTON