Jan BAETENS, À voix haute. Poésie et lecture publique, Les Impressions nouvelles, 190 p., 17 €/ePub : 11.99 €
Ses lecteurs fidèles savent que Jan Baetens ne s’empare jamais d’une question à la légère, si décalée semble-t-elle par rapport aux champs de la recherche littéraire. Voilà de surcroît un universitaire qui se refuse à considérer la poésie comme lettre morte, juste bonne à être disséquée. Lui est un praticien, qui s’applique à saisir sur le vif les manifestations et les évolutions de l’expression artistique qui le passionne depuis toujours. Mais l’homme de terrain n’en est pas moins bardé de références livresques, et sait en user s’il s’agit de retracer les rapports que les auteurs entretiennent entre l’oral et l’écrit, plus particulièrement entre leur oral et leur écrit, depuis l’époque charnière du XIXe siècle.
In fine, le but se dessine à l’horizon d’un sillon entamé dans de précédents travaux : « Débarrasser le texte poétique des préjugés certes nobles et bien intentionnés mais pas forcément utiles ou efficaces à long terme ». Baetens tient à préciser que son intention n’est pas pamphlétaire ; il adopte néanmoins une posture critique à l’égard des « dangers de l’esprit du temps qui force les poètes à se produire en public ». Car à quoi tiennent cette nécessité de la performance, cet impératif d’exposition et de mise en / sur scène de la parole qui s’oppose parfois davantage à l’écriture qu’elle ne la complète ou l’exhausse ? Et la lecture à haute voix menée par l’auteur du texte lu apporte-t-elle une plus-value par rapport à l’ensemble de son œuvre écrite ?
L’introduction de l’ouvrage interpelle en posant les questions nécessaires à circonscrire la problématique de l’oralité en littérature, et les chapitres de la partie consacrée à « une petite histoire de la lecture publique » revisitent cet acte (chez Balzac, Proust, Joyce, les dadaïstes) comme motif littéraire particulièrement révélateur des processus de socialité ainsi que d’affirmation de soi de la part de l’écrivain. Si bien que l’on assiste progressivement à la transformation d’une posture individuelle ou collective en un « must moderne », un effet de mode d’autant plus triomphant qu’il est encouragé par les institutions publiques, un « levier capital » pour les « poètes désireux de se professionnaliser », un geste défini par Baetens comme « extrême-contemporain ».
Les instantanés de la deuxième partie dressent un inventaire (non exhaustif mais choisi) d’expériences contemporaines. Parmi les Jean-Marie Gleize, Danielle Mémoire et autres maillons de la « chaîne POL », le belge Vincent Tholomé occupe une place d’importance. Jan Baetens souligne la « source de richesse et d’invention » que représente, dans un livre tel que VUAZ, une exploitation congrue, façon arte povera, de la typographie, dans laquelle il voit rien moins que la réinvention « de la lecture à haute voix en régime imprimé ». Alors, oralité et écriture, ennemies irréconciliables ou alliées objectives ? Le débat peut désormais s’ouvrir, grâce au dossier si pertinemment instruit par Jan Baetens.
♦ Lire un extrait du livre de Jan Baetens