Bruxelles : le nouveau piétonnier a déjà son polar

Kate MILIE, Peur sur les boulevards, 180° éditions, 2016, 272 p., 17 €

milieKate Milie s’est fait une spécialité du polar urbain. Après L’assassin  aime l’Art Déco en 2012 et Noire jonction en 2013, Peur sur les boulevards paru chez le même éditeur 180° éditions se présente comme le troisième tome (qui  se lit néanmoins indépendamment) de cette mise en scène de Bruxelles sur trame de polar et exploration sous toutes les coutures de cette ville aux « travaux permanents et interminables ». Hôtels et places, rues et boulevards, voies d’eau ou voies ferrées, vibrations, fantômes, tréfonds oubliés, l’auteure  aime mener son lecteur dans ces sortes de jeux de pistes vers l’autre côté du miroir où se donne peut-être la clé d’une obsessionnelle énigme.

On retrouve Marie, la jeune historienne de l’art et pétillante guide de L’assassin aime l’Art Déco, elle qui aime s’abandonner « dans la mémoire inconsciente des villes » et qui, habituée à faire parler les pierres, aime « humer, respirer, renifler, sniffer » la ville et ses rues pour les déchiffrer. Or ici, à sa suite sur les boulevards, on découvre d’abjects et étranges meurtres de sans-abris. Puis de sanglants cadavres de coqs sur les fontaines. Et puis des signes francs-maçons, des couvents démolis, une obsédante croix de Jérusalem, une tentative de désenvoûtement de la Senne, un Collectif pour la réappropriation de la ville, beaucoup de moines oubliés, Franciscains récollets, Clarisses, Capucins, Visitandines, Brigittines… Or, derrière tous ces ordres dont la ville garde mémoire, il y a peut-être surtout celui des Templiers.  Se pourrait-il que le fameux trésor de l’ordre chevalier soit, depuis le Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui, passé de mains en mains à Bruxelles afin de le protéger en lieu sûr ? Et si les meurtres dont il est question ou les coqs sanglants avaient un rapport ? Et si même les projets urbanistiques actuels avaient un rapport, en particulier ceux liés au très récent piétonnier si controversé et aux projets obsessionnels de quatre parkings, du côté par exemple des Marolles ou de l’Yser, « échappant », selon leurs détracteurs, « à toute rationalité »? Le piétonnier et ses futurs bouleversements, prévoit-on – d’ailleurs Bruxelles, « catastrophe urbanistique, au sordide passé de démolitions et reconstructions », a toujours été une « ville offerte aux urbanistes fous, promoteurs véreux, politiciens inconscients avec pour toile de fond un intense lobbying et une spéculation immobilière apocalyptique ». Ville jamais à l’abri de nouvelles vagues de destruction, après par exemple le voûtement de la Senne vers 1870 ou la bruxellisation un siècle plus tard. Alors, le complot d’une nouvelle destruction de Bruxelles en 2070 dont le piétonnier serait l’amorce ? Comme le prophétise le Livre d’Ezechiel repris en épigraphe : « Approchez, vous qui veillez sur la ville, chacun son instrument de destruction à la main ».

Une enquête et quête dont Bruxelles est l’héroïne, et que la jeune Marie a l’art de mettre en valeur dans ses balades guidées sur les boulevards du centre-ville : son cœur vibrant, ses merveilles architecturales éclectiques, ses maisons particulières, ses  moments haussmaniens, sa vision des grandeurs du 19ème, ses ravages urbanistiques aussi, ou l’histoire cachée de la Senne, cette « petite rivière mal aimée au tracé difficile », ses îles et son fameux voûtement « associé à des magouilles financières, transactions douteuses, pots-de-vin et autres scandales ». Une Marie fureteuse, devenant dans cette enquête à la fois informatrice-documentaliste et amoureuse du flic cow-boy de service, Guillaume. D’autres sympathiques personnages rôdent également par les boulevards et venelles parfois douteuses du centre-ville : Solène préparant une biographie sur un célèbre urbaniste, Jim « photographe du trottoir » et « voyeur urbain », ou même cette sévère Alexandra, bras droit dudit urbaniste, ou encore les bien sympathiques poètes de rues de Cent Frontières. Un polar ? Certes, mais moins une enquête sur des meurtres que sur les crimes urbanistiques passés et prévus.

Polar urbain et ésotérique donc qui donne juste envie de (re)découvrir  Bruxelles livre à la main. Et précisément, l’auteure nous invite, samedi 24 septembre après-midi, dans le cadre de l’Estival des Parlantes, à participer aux balades littéraires de Guy Delhasse, et de l’accompagner dans une promenade polardesque sur les boulevards et le piétonnier bruxellois. Rendez-vous est pris !

Eric BRUCHER