« N’en resta plus… »

Martine CADIÈRE, L’été des rats, Mols, 2016, 245 p., 20 €

cadiereLe Bugue, petite ville du Sud-Ouest français, août 1955. « Un industriel à l’hôtel, un dentiste dans le village, un pharmacien à l’hôtel, un curé dans le village […] ». C’est ainsi que commence la dernière strophe d’un poème de Jacques Prévert, couché dans le Livre d’Or du Vieux Manoir, résidence périgordine de luxe pour séniors, où l’auteure séjourna durant cet été – l’été des rats –particulièrement étouffant. Dévoilée dès les premières pages du livre, cette rengaine réapparait ci et là, comme le fil conducteur de l’intrigue que l’on décode peu à peu.

Été 2010. Blanche Fanlac, sexagénaire depuis peu, fraichement larguée par un mari délaissé, qui a trouvé consolation dans des bras plus accueillants – plus jeunes, aussi –, est propriétaire du Vieux Manoir, qui appartenait à sa grand-mère, Augustine Fanlac. Le 16 juillet, le corps sans vie d’Eugène Chalivat, industriel à la retraite et pensionnaire de la maison de repos, est découvert dans la Douch, le ruisseau qui traverse la propriété, et vient troubler la quiétude du lieu. Les indices déposés autour du corps – tomates, betteraves et autres olives – ne laissent aucun doute : ce ne peut être un accident. Le capitaine Chasteneuil, chef de la Communauté de Brigades du Bugue, et le Capitaine Mattéi, membre de l’Unité nationale d’Investigation criminelle, sont dépêchés sur les lieux et chargés de l’enquête. À mesure que s’amoncellent les cadavres des vieux résidents dans des mises en scène toujours plus surréalistes inspirées directement, telle la comptine dans Les dix petits nègres, du poème de Prévert, le Vieux Manoir habituellement si paisible et sa dynamique directrice sont au bord de l’implosion.

Dès le début du livre, l’auteure entraine le lecteur sur une scène de crime, la première d’une longue série, dans un patelin du Sud-Ouest français a priori sans histoire, en plein cœur du mois de juillet. Démarrée sur les chapeaux de roue, l’intrigue aligne les chapitres courts ; passé, présent, bribes de la vie de Blanche Fanlac et états d’âme du meurtrier (signalés par l’italique) s’entremêlent de manière efficace et conduisent le lecteur vers le tueur, dont le nom reste un mystère jusqu’à la scène finale, alors même qu’on le suit/lit depuis son premier méfait.

Cette structure dynamique et le suspense qui s’installe et perdure autour de l’identité du meurtrier n’occultent toutefois pas les faiblesses de ce roman policier. Les personnages, trop nombreux pour marquer l’intrigue de leur présence, laissent le lecteur complètement extérieur à l’histoire, tel un lointain observateur peu préoccupé du destin de tous ces gens, dont le profil psychologique n’est, pour la plupart, qu’esquissé, comme laissé en surface et brossé en quelques traits trop lisses. Bref, à aucun moment, on ne vibre pour ces vieux pourtant en danger ! Et le besoin constant de recourir au lexique des personnages, présenté au début du livre, n’aide pas à s’immerger dans l’histoire et à en ressentir en profondeur les ambiances – quoique la chaleur accablante de l’été 1955 soit particulièrement bien décrite.

Abordée plus finement, l’affection entre le poète Prévert, hôte du Vieux Manoir, « incroyablement séduisant […], seigneur libre et curieux de tout […], [à l’] élégance authentique », et la jeune Blanche, sept ans, envoyée chez sa grand-mère pour l’été, fleure bon la simplicité et la sincérité d’une amitié naissante entre deux êtres que tout oppose, un artiste en quête de tranquillité et une petite fille solitaire et timide, qui voudrait seulement qu’on lui donne la parole et l’écoute. « Jacques Prévert s’habitua à moi. Ou l’inverse. Notre étrange binôme s’associait dès le matin, après le petit déjeuner. »

Avec L’été des rats, Martine Cadière emmène le lecteur dans cette région du Sud-Ouest français qu’elle affectionne particulièrement. Même si le polar souffre de quelques imperfections, il n’en présente pas moins des passages très plaisants…

À emporter dans vos valises, donc !

Marie Dewez