François MUIR, Toi l’égaré (Poèmes inédits), La lettre volée, 2015, 51 p., 14 €
Né à Uccle le 1er octobre 1955 sous le nom de Jean-François de Bodt, François Muir est, selon Marc Quaghebeur[1], « le poète le plus important de sa génération en Belgique ». Et pourtant, son œuvre demeure discrète et méconnue du grand public. Quelques auteurs partagent cette idée, et ne tarissent pas d’éloges à son sujet : le regretté Jacques Izoard, mais aussi Jack Keguenne, Frédéric Baal, Yves Namur ou encore Stéphane Lambert qui lui a d’ailleurs consacré un portrait poétique original[2]. F. Muir entretenait plusieurs correspondances avec des auteurs reconnus comme J.M. Coetzee qui disait au sujet de sa poésie qu’elle l’impressionnait par sa limpidité et sa clarté.
Pour ma part, je le découvre par le biais de cette publication de poèmes inédits « Toi, l’égaré » publiés par l’éditeur et poète, Pierre-Yves Soucy. Ce texte a été écrit dans les années 80 du siècle passé et précède le projet fondamental de l’auteur, Le Mort des commencements, paru en 5 volumes aux éditions Didier Devillez. À la lecture de cette série de poèmes, F. Muir fait partie de ces auteurs qui nous plongent dans un univers singulier, à la fois percutant et obsédant. Une quarantaine de textes courts et forts se succèdent, reliés entre eux par un fil presque invisible. Il ne faut pas être pressé pour les lire, pour les laisser nous saisir. Chaque poème reflète un moment, un état, une pensée, immédiate et profonde, une quête de sens qui se trouve dans chaque respiration du corps et de l’esprit, dans chaque parole écrite. Les mots s’adressent à un autre qui pourrait être lui-même. Des vers interrogatifs se succèdent à répétition, mais aucune réponse précise n’est ici attendue. Pour Jacques Izoard[3], sa poésie porte vers « ailleurs, ici, nulle part, simultanément. Et tout le monde sait qu’ailleurs, nulle part et ici sont les véritables pays des poètes ».
A-t-on parlé
D’une direction
Tu collectionnes
Les lents carrefours.
Tu n’abandonnes pas ton bagage,
Ni tes outils.
Tes proches ont parlé d’une muraille.
Égaré, perdu, immobile, il observe et cherche à connaître par son regard et la langue qui l’anime, le chemin, les sillons du réel qui nous entourent : l’horizon, le ciel, la surface, les mirages dessinent les contours d’une terre qu’il habite. L’écriture est envisagée pour ne pas vaciller sur « les tréteaux du monde ». Elle permet cette sensation d’être « hors de soi », étranger à soi-même, tout en étant dans le monde. Il est en quelque sorte « le poète de l’attention et de l’épuisement, de l’attention qui surgit au bord de l’épuisement »[4]. En effet, l’auteur s’époumone et reste obstiné face à l’ampleur de la tâche qu’il s’est fixée, une quête insensée, une quête « dont la seule préoccupation est la fusion de soi dans « ce qui est » par le langage poétique ». Ce recueil donne l’envie d’aller plus loin, beaucoup plus loin… d’acquérir son œuvre poétique majeure, mais aussi de dévorer ses romans et regarder ses pastels. Une œuvre qui, comme l’écrit si bien l’éditeur et poète Yves Namur sur le site internet dédiée à F. Muir, « n’en finit pas de s’ouvrir » et qui mérite, aujourd’hui plus que jamais, que nous prenions le temps de la lire et de la faire circuler.
Toi, l’égaré,
Du grand paysage,
Que sais-tu ?
En ses eaux n’as-tu frayé ?
N’as-tu quelque souvenir ?
En oubli,
Tu œuvres.
Mélanie GODIN
* L’expression « Athlète du coeur » est reprise de l’article de Stéphane Lambert, « Une vie testamentaire » (Pierre-Yves SOUCY (dir.), L’étrangère n°37, François Muir , 2014, p. 33.)
[1] Un bon site internet avec plein d’infos utiles pour aller plus loin : http://francoismuir.be/
[2] Stéphane LAMBERT, Le jardin, le séisme – Dans les pas de François Muir, La lettre volée, 2013, 121 p.
[3] Jacques IZOARD, « François Muir en ses filigranes bleutés », dans Pierre-Yves SOUCY (dir.), L’étrangère n°37, François Muir , 2014,p. 137.
[4] Jean-Patrice COURTOIS, « Le geste atonal de François Muir », dans Pierre-Yves SOUCY (dir.), op. cit., p. 38.