Le jardin extraordinaire

Leonor PALMEIRA, Camille PIER, La Nature contre-nature (tout contre), L’arbre de Diane Editions, coll. « La tortue de Zénon », 2016, 80 p., 12 €

palmeiraIl s’en passe des choses dans la nature. Des choses que l’on n’imagine pas, que l’on ne veut pas voir, ou que l’on nous cache parce qu’elles rendraient chèvre l’ordre établi. Celui, par exemple, de la différence entre les hommes et les femmes, cette fameuse différenciation sexuelle qui serait le dernier rempart contre la confusion identitaire, l’ultime argument pour défendre la famille traditionnelle. Que n’a-t-il pas fallu entendre, en France, au moment des débats pour le mariage pour tous – et toutes ! Quelles couleuvres n’a-t-il pas fallu avaler ! Même si, au fond, on peut être d’accord avec Juliette Gréco quand elle chante « La nature complique jamais inutilement / Y’a que les hommes pour s’épouser ». Mais la nature est plus égalitaire que la société humaine ; dans le règne animal c’est : le non-mariage pour toutes et tous.

Frondeuse et généreuse, la nature avait déjà donné des arguments à Gide dans le deuxième dialogue de son Corydon pour démonter, entre autre, l’essentialité de l’instinct sexuel. Aujourd’hui, elle sert le propos du drolatique et non moins scientifique texte de Leonor Palmeira (chercheuse en biologie) et Camille Pier (auteur-compositeur-interprète et artiste de cabaret). Où l’on apprend que les organes sexuels des hyènes et de la plupart des oiseaux ne permettent pas nécessairement de « faire la différence entre mâle et femelle. », pas plus que les chromosomes chez les mêmes bestioles à plumes ou les gamètes de certaines mouchettes… Sous forme de conférence, le monologue est rythmé comme un poème sans rimes, nous amuse (en nous instruisant) de ses jeux de mots animaliers, de ses impertinences et adresses au public. Ainsi à propos de la gestation :

Alors, vous allez me dire :
Oui mais, euh, Josie…
Quand même,
C’est la femelle
Qui porte les petits dans son bide
Le temps de la gestation.
C’est en elle que s’opère
Le mélange des deux patrimoines génétiques.
C’est elle qui pond,
Qui accouche,
Qui propulse la vie !

Oui, ça fonctionne
Avec les espèces dont j’ai parlé…
Mais ça fonctionne pas chez tout le monde.
Chez les hippocampes
C’est le mâle qui joue les dindons farcis !
Et chez les crapauds accoucheurs,
Le mâle porte aussi bien son nom
Qu’il porte les petits.

Ou au sujet de l’homosexualité :

Et le zoo de Paris, dernièrement, a déclaré abriter
Un couple de manchots lesbiennes.
Ah ça me fait bizarre. Des lesbiennes manchotes.
C’est presque un oxymore.
Pas de bras, pas de… partie de jambe en l’air !
Par contre, des « pin-gouines lesbiennes »
Ce serait un pléonasme !
Allez, j’arrête.

Destiné à la scène, le monologue éclaire les questions ayant trait au genre, les thématiques lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuelles (LGBTI). Mais il va bien au-delà en permettant à chacun, chacune et les autres de soulever les lièvres du discours sur la nature et la contre-nature, d’apprendre à le dé-naturaliser.

Michel ZUMKIR