Une vie reconduite, avec discrétion et panache

Stéphane LAMBERT, Monet, Impressions de l’étang, Paris, Arléa, 2016, 73 p., 7 €   ISBN : 9782363081209

lambert_monetPour la deuxième fois, Stéphane Lambert écrit sur Monet, à nouveau sur les Nymphéas. Après l’Adieu au paysage : les Nymphéas de Claude Monet, paru en 2008, voici Monet, Impressions de l’étang, complément mais aussi supplément au premier livre déjà très inspiré sur le rapport entre le peintre et ses œuvres ultimes. Un premier essai documenté qui montrait aussi la relation entre Giverny, l’Orangerie à Paris et le ressenti du narrateur traitant de cette matière selon son émotion et une réflexion intime. Bien qu’ils soient sous-entendus dans le second ouvrage, on devinera la présence de ces mêmes éclairages et qu’ils ont présidé au choix renouvelé du thème.

Celui-ci présente la mise en texte d’une fiction radiophonique réalisée pour France Culture. La différence est complète, bien entendu, il n’y a aucune trace de dialogue ici alors qu’ils comptaient pour la majeure partie dans la version audio. La translation est réussie et les références à ces paroles dites sont discrètes mais très suggestives. Les mêmes personnages sont présents : Blanche Hoschédé-Monet, doublement belle-fille de Monet, car elle est la fille de sa seconde épouse, Alice, et a épousé l’un de ses fils ; Clémenceau, l’ami proche et fidèle, qui a longuement séjourné à Giverny ; enfin, le peintre lui-même. Les voix sont parfaitement identifiables dans leur lisibilité cette fois, grâce à ce recours très littéraire au monologue intérieur, original et vivant. De manière assez régulière, chacune émet à son tour une pensée, une émotion, un commentaire dans un  court chapitre, avec comme référence à la vitalité du témoignage, les suspensions, la ponctuation et les indications de rythme que donne l’auteur.

La scène se passe, comme on dit, à Giverny, pour se terminer à Paris. Giverny où Monet s’est installé dès 1883, devenu propriétaire en 1890 et où il meurt en 1926. Paris, alors que le peintre n’est plus lorsqu’on inaugure en grande pompe l’installation de plusieurs grands panneaux des Nymphéas au Musée de l’Orangerie. Un couronnement qui lui revenait tellement, à lui qui dès 1918, au lendemain de la Grande Guerre, avait tenu à offrir à la France ce cadeau de la victoire qui allait lui demander des années. Un travail gigantesque qu’il accomplira jusqu’au bout malgré une double cataracte, des problèmes de santé et un certain désespoir qui un moment faillit le faire renoncer à son œuvre et à la donation.

Sans emprunter du tout l’allure de la narration, Stéphane Lambert réfléchit indirectement toutes ces informations puisées comme toujours dans des sources sérieuses, mais il les diffuse dans la sensibilité de chacun et par dessus tout à travers la sienne tant il semble en osmose avec ce qui se passe, proche du drame, dans le temps de la création qui peut être entravée par des obstacles matériels, comme la disparition progressive de la vue chez un génie qui voulait saisir la dilution, l’indicible « droit dans les yeux ». Mais celui-ci est allé jusqu’au bout, au-delà du décor, au-delà de la vue, opposant sa victoire sur « ce qui dévore ». Voilà qui nous est transmis avec passion et lucidité, une fin de vie atroce et triomphante, de celle qui invente ce qui n’existe pas.

 Jeannine Paque