Le visage et l’auteure

Mathilde ALET, Petite fantôme, Éditions Luce Wilquin, 2016, 176 p., 18€/epub : 10.99 €, ISBN : 978-2882535269

aletComme chaque mercredi, Gil attend Jo aux Trois Compères, un café sans grand charme. Cette fois, sa comparse de banquette ne se contentera pas d’un léger retard : elle ne viendra pas à leur rendez-vous. Qu’est-ce qui a provoqué rupture dans leur rituel parfaitement établi ? Comment s’accommoder d’une telle absence ? Dans sa vie plutôt solitaire qu’elle voudrait réglée comme du papier à musique, Gil compense chaque faille, chaque estafilade en façonnant des archétypes imaginaires avec qui mieux dialoguer : il y avait Arnaud-chéri, le fiancé plus parfait que celui qui se contente de visites horizontales à l’improviste. Il y aura donc Joséphine, aussi belle que la vraie, mais bien plus proche d’elle, comme dans ses souvenirs de la rue des Goélands. Une grande sœur avec qui s’accorder une relation non régie par contrat, avec qui tous les sujets pourront être abordés.

En observatrice aux descriptions fines, en maîtresse d’un tempo qui accorde au lecteur quelques belles épiphanies, Mathilde Alet nous donne à saisir ce qui a séparé cette paire-là et ce qui fait encore chantier – au propre comme au figuré – dans l’esprit de la cadette : un premier livre au succès fulgurant, une romancière à l’identité trouble, double, Esther Égova. Qui de Jo ou de Gil peut revendiquer la création de l’histoire de Marie, cette jeune femme qui fera une rencontre qui changera sa vie ? Celle qui a donné l’impulsion au texte ou celle qui l’a mis en forme ? Celle qui s’est projetée depuis longtemps dans les chroniques radiophoniques du Masque et la Plume ou celle qui a accepté d’apparaître face à Augustin Trappenard dans Le Grand Journal ? Laquelle des deux a toute raison de se sentir fantomatique face à cette situation ambigüe ?

L’auteure avait fait son entrée en littérature il y a deux ans, déjà aux éditions Luce Wilquin. Elle tisse ici un motif déjà présent dans Mon Lapin : celui des relations familiales qui s’effilochent parfois malgré nous, et notre difficulté à cimenter le présent en faisant notre deuil des fractures passées. Mais c’est en lui mêlant celui de la création et de l’ambition littéraires en question – exemples reconnaissables de la fabrique à créer les succès à l’appui – qu’elle passe avec une acuité renouvelée le cap parfois épineux du deuxième roman.  

Anne-Lise Remacle