Arnaud de la CROIX, Degrelle 1906 – 1994, avant-propos d’Alain Collignon, postface de Jean-Louis Vullierme, Racine, 2016, 224 p., 19,95 € ISBN : 9782873869823
Auteur de plusieurs ouvrages traitant des Templiers, de La religion d’Hitler ou encore de L’érotisme au Moyen Âge, Arnaud de la Croix nous livre aujourd’hui une biographie politique de Léon Degrelle, la première à sa connaissance – et à la nôtre : Degrelle 1906-1994. Appuyé sur une bibliographie considérable, s’étant plongé (non sans esprit critique) dans les nombreux livres de Degrelle et dans les entretiens qu’il a prodigués, Arnaud de la Croix scrute le parcours de ce personnage sulfureux, depuis son enfance à Bouillon où il naquit en 1906 jusqu’à son exil en Espagne où il meurt en 1994.
Imprégné tout jeune de « la foi et la ferveur épique » auréolant Godefroid de Bouillon et les Croisades, il évoquera ses jeunes années dans les poèmes de La chanson ardennaise, et, dans Les âmes qui brûlent, songera : « Maison, forteresse et tendresse… / Sans la maman et la maison, dis-moi, mon âme, où serions-nous ? »
Collégien à Namur, il s’enthousiasme pour Charles Péguy, Gabriele D’Annunzio, poète-guerrier inspirant Mussolini, le journaliste et tribun devenu chef d’État à seulement trente-neuf ans, qui, à son tour, enfièvre l’adolescent. Ainsi se forge-t-il un quatuor de figures tutélaires, de maîtres à penser – et à agir : outre D’Annunzio et Mussolini, « Charles Maurras, le « grand penseur » de l’Action française, Léon Daudet, le polémiste capable d’influencer l’opinion par sa plume ravageuse ».
Étudiant à l’Université catholique de Louvain, il milite au sein de l’Association catholique de la jeunesse belge (ACJB), dont le cofondateur, l’abbé Louis Picard, le prend sous son aile et lui confie la revue estudiantine L’Avant-Garde qui, sous sa houlette, atteint un beau tirage de dix mille exemplaires – que Degrelle, volontiers hâbleur et prompt à l’exagération, transformera plus tard en cent mille !
Invité à vingt ans à collaborer au quotidien catholique Le Vingtième Siècle, il y rencontre Hergé, début de relations amicales qui n’iront pas sans ombres…
Puis il prend les rênes de l’ACJB, rebaptisée Éditions Rex (en hommage au Christ-Roi, Christus Rex), qui, à côté d’un bulletin qu’il étoffera, publient notamment des livres de Max Deauville, Stanislas-André Steeman… et, sous son impulsion, des brochures sur des questions d’actualité, fort appréciées. Il n’hésite pas à s’estimer « l’écrivain le plus mordant de son pays », doublé d’un orateur de talent.
Peu après la prise de pouvoir par Hitler en 1933, la Légation allemande prend contact avec le jeune et fougueux directeur des Éditions Rex. Celui-ci ne cache pas son ambition de réformer, redynamiser, rajeunir le Parti catholique. Dans les colonnes de son journal Rex, il prétend le servir « de toutes nos forces », mais ajoute intrépidement : « avant de le conquérir ».
Dès lors inévitable, la rupture est consommée à la fin de 1935, officialisée en 1936. Désormais, Léon Degrelle apparaît comme le chef de file d’un courant autonome : le rexisme.
Il se fait accusateur, dénonçant avec virulence des malversations politico-financières n’épargnant aucun parti. Tous sont compromis, ses journaux et brochures l’affirment, et il le proclame dans les meetings où il déploie ses dons de tribun. « C’est l’homme du discours enflammé, pas celui du débat contradictoire. » Cette campagne acerbe lui vaut un premier succès électoral : le Front populaire de Rex obtient plus de 11 % des suffrages aux élections législatives de mai 1936, époque où il lance Le Pays réel. Il est reçu par le roi Léopold III qui aurait, à l’issue de l’audience, soufflé à un membre de son entourage ce commentaire acide : « Il est suffisant, et insuffisant ».
Arnaud de la Croix dessine un portrait précis, aigu de Degrelle, qui fut à la fois « tribun et séducteur, guerrier et opportuniste, menteur et conteur ». Dresse une synthèse de ses réflexions politiques, parfois prémonitoires. C’est ainsi que, s’il s’opposait au séparatisme, il pressentit l’évolution du pays vers un fédéralisme « possible et même désirable ». Repère ses premiers faux pas, ses imprudences, ses erreurs. Nous fait vivre presque de jour en jour son affrontement sans merci avec le gouvernement Van Zeeland. Paul-Henri Spaak, « son adversaire politique de prédilection », alors ministre des Affaires étrangères, l’accuse d’« empoisonner » le climat politique. Il joue son va-tout, provoquant une élection partielle à Bruxelles en avril 1937. Le duel Van Zeeland-Degrelle se conclut par la victoire écrasante du premier (75,8% de voix), la sévère déconfiture du second (15%) qui, plus tard, jugera sans vergogne : « ce n’était pas une défaite, septante mille Bruxellois avaient voté pour moi ».
Après cette bataille perdue, les défections se multiplient parmi les cadres du parti rexiste. Un second conflit mondial menace, et Degrelle impute aux événements internationaux les nouveaux échecs, de plus en plus cuisants, des rexistes aux élections suivantes.
Au premier jour de l’invasion allemande, le 10 mai 1940, il est arrêté à son domicile bruxellois pour espionnage (qu’il nie farouchement). Il sera transféré de la prison de Forest à celle de Bruges, puis détenu à Lille, Esneux, Bordeaux… Libéré fin juillet, il retrouve à Carcassonne d’anciens amis et prend avec eux la route de Bruxelles.
S’ouvre alors le chapitre de la collaboration. Degrelle n’a nullement renoncé à ses rêves de pouvoir. Il rencontre les autorités allemandes d’Occupation. Demande audience au roi (qui décline), au cardinal Van Roey (qui le reçoit mais se montre réservé).
Le Pays réel reparaît, proclamant d’abord son indépendance, son patriotisme, mais bientôt son allégeance à Hitler, « ce conducteur de peuples, si extraordinairement complet : homme d’État, stratège, poète grandiose… ».
Dans le sillage de l’offensive lancée par le Reich, au mois de juin 1941, contre la Russie soviétique, des légions de volontaires se forment dans plusieurs pays (Espagne, France, Danemark) pour épauler les troupes allemandes dans cette « grande croisade contre le bolchevisme ». Léon Degrelle prend l’initiative de constituer une Légion Wallonie dans laquelle il s’engage, et qui part en août pour le front de l’Est. Volontaires wallons appelés aussi bourguignons, en référence à l’espoir chimérique de restaurer « la grande Bourgogne », qui connut son apogée sous Philippe le Bon.
Rentré au pays le temps d’un congé, il n’hésite pas à souligner la « germanité des Wallons », lors d’un discours en janvier 1943 qui le discrédite définitivement dans l’opinion publique. Le 1er juin de la même année, la Légion Wallonie est incorporée dans la Waffen-SS. Cette fois, plus de doute : le dernier âge du rexisme sera nazi.
Mais le vent a tourné. Les Alliés vont débarquer en Italie, puis en Normandie. Paris est libéré en août 1944 ; Bruxelles, aux premiers jours de septembre. L’ultime contre-attaque lancée par Hitler dans les Ardennes échoue et Degrelle, qui s’était vu décerner le 1er janvier 1945 « les pleins pouvoirs pour les affaires civiles, politiques et militaires dans les territoires occupés », voit toutes ses illusions s’écrouler.
L’ex-chef de Rex fuit en Allemagne, gagne le Danemark, Oslo. Condamné à mort par contumace en Belgique le 27 décembre 1944, puis déchu de la nationalité belge, il atterrit finalement à bord d’un bimoteur sur la plage de San Sebastian. Prêt, à trente-neuf ans, à vivre une autre saison où l’auteur le silhouette comme « le fantôme espagnol » – qui n’est pas au bout de ses aventures. Il échappera à plusieurs tentatives d’enlèvement. Averti, environ un an après son arrivée, de son imminente reconduite à la frontière, il disparaît jusqu’en 1953. Nanti, par la grâce d’une adoption, de la nationalité espagnole, il s’active dans les domaines de l’import-export, puis de la construction immobilière. Se consacre aussi à (ré)écrire – et à défendre – l’histoire de sa vie, inséparable de celle de son parti (La campagne de Russie, La cohue de 1940, Hitler pour 1000 ans…).
Dans un des derniers chapitres de son étude approfondie, menée sur le ton vif d’une enquête, Arnaud de la Croix suit l’évolution de Léon Degrelle face à « la question juive », et résume l’itinéraire de cet homme pressé, impatient, ambitieux, fabulateur (l’écrivain Robert Poulet parlait de ses « mensonges de magnificence »), mais aussi constamment à la recherche d’un mentor, en quelques lignes glaçantes : « En faisant siens le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme, Degrelle arrive au bout du cheminement idéologique qui, d’un jeune catholique épris des idées de Maurras et de l’autoritarisme de Mussolini, a fait un parfait nazi ».
Francine Ghysen
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