La voix du blues assassinée

Michel LAUWERS, Douze mesures pour un meurtre, Murmure des Soirs, 422 p., 20€, ISBN : 978-2-930657-35-6

lauwersPour son troisième roman publié chez Murmure des Soirs, Douze mesures pour un meurtre, Michel Lauwers nous emmène à Hokum, petite ville de l’état du Mississippi, après la Deuxième Guerre mondiale. Descendu à l’unique hôtel, Alan Malox, employé d’une firme de disques de New York, s’écroule dans le fauteuil qu’il occupait au salon après avoir avalé son jus de citron quotidien, agrémenté d’une dose mortelle de cyanure. Pour Sol Chambers, le jeune shérif chargé de l’enquête, un meurtre dans sa juridiction est une occasion inespérée de démontrer ses qualités de fin limier.

La victime était musicologue, spécialiste de la musique de blues. Il était arrivé en ville pour rencontrer un musicien d’exception, Charley Eisenhower, surnommé la « Voix ». Malox a longuement enregistré la Voix avec son magnétophone Ampex, à telle enseigne que le chanteur en est tombé malade et en est mort, à en croire son épouse, ce qui suffit à la désigner comme principale suspecte.

Mais, si tel était le cas, où aurait-elle pu se procurer le poison ? Peut-être à la mine d’or de Jéricho, propriété d’un notable, où on utilise du cyanure de potassium pour extraire l’or des minerais. Cependant, malgré des indices apparemment convergents, le shérif Chambers ne croit pas à la culpabilité de la veuve Eisenhower, notamment parce que les bandes enregistrées par Malox ont été volées à l’hôtel alors que la dame était emprisonnée. L’attitude du shérif contrarie singulièrement le procureur du district, Louis Collins, pour lequel la femme doit être jugée (et condamnée) dans les plus brefs délais.

C’est avec de bonnes raisons que Michel Lauwers a situé l’action de son roman dans un état ségrégationniste du Sud des Etats-Unis. D’une part, parce que la musique noire est une passion personnelle (journaliste, il est également guitariste de blues), mais aussi parce que cette musique constitue l’emblème du peuple afro-américain et de sa culture longtemps réprimée par le pouvoir blanc.

À travers l’évolution intérieure du personnage du shérif, l’auteur peut examiner avec une précision d’expert le cheminement qui va de la méconnaissance de l’Autre, avec tous les préjugés raciaux qui l’escortent, à l’intérêt, puis, grâce à la musique, à l’empathie pour l’expression des souffrances d’un peuple opprimé pendant des siècles.

C’est en se plongeant, au péril de sa vie, au cœur d’un concert de blues interdit aux blancs, que le shérif Chambers prendra soudain conscience qu’une autre culture existe :

À présent qu’il avait écouté le blues, qu’il l’avait non seulement écouté mais qu’il était entré en lui, qu’il avait pénétré au cœur du chant pour se lover au creux de la moindre de ses paroles, il le savait.

Au cours d’une enquête peu conformiste, Chambers sera amené à affronter les contradictions raciales, politiques et culturelles de la société américaine d’avant le succès de la Lutte pour les droits civiques et l’abolition de la ségrégation raciale.

À partir d’une intrigue dense et bien menée, le roman montre avec force que, même encore dominé par l’emprise absolue des valeurs de l’Amérique yankee, un homme blanc peut être transformé intérieurement par l’amour de la musique des anciens esclaves, ce blues avec sa pulsation rythmique en douze mesures.

René Begon