Alfred Blondel. Sculpteur dans l’âme, Mardaga, 2016, 239 p., 45 €, ISBN : 9782804703134
Il est rare – et captivant – de partager le parcours d’un artiste, de ses premiers pas à la découverte de sa voie, à la maîtrise, l’accomplissement de son talent.
Le livre-album Alfred Blondel nous en offre avec éclat l’occasion.
Grandi dans une famille ouverte aux arts, qui compta des personnalités marquantes en Anna Boch et son frère Eugène, artistes, mécènes et collectionneurs, grand-tante et grand-oncle d’Alfred, il commençait cependant sa vie professionnelle dans le domaine de l’économie, aux États-Unis.
Il rentre en Belgique vers trente ans, épouse Myriam, qui aura très tôt l’intuition de ses dons et l’incite à s’inscrire dans une école d’art.
C’est alors que nous le rencontrons, un jour, gravé dans sa mémoire, de septembre 1980, dans l’atelier de dessin d’après modèle vivant de l’École des arts de Watermael-Boitsfort, première d’une dizaine d’académies qu’il fréquentera dans la région bruxelloise : « Un homme entre deux âges posait. Je me mis au travail et l’impression que je ressentis fut incroyable : je voyais naître sous mes yeux et de ma main un grand personnage en pied, vivant, véridique, et pour moi inattendu. J’avais découvert ma vocation. Je savais ce que je ferais pour le restant de ma vie ! »
D’un cours d’été de sculpture à Braine-l’Alleud, il rapporte sa première œuvre sculptée, une tête en terre cuite, et surtout une révélation : sa destinée est là.
Il élabore une technique personnelle, un travail « en creux » à la manière d’un potier, réalisant un original en terre cuite plutôt qu’en plâtre. « Le modelage en creux est une technique de ‘premier jet’, comme l’aquarelle et la fresque, car les corrections postérieures sont très limitées. J’aime bien ces techniques qui vous obligent à vous exprimer bien du premier coup. »
Alfred Blondel met fin quelques années plus tard à sa carrière professionnelle pour se consacrer entièrement à son art.
Un art qui ne prétend rien révolutionner, mais poursuit inlassablement sa quête de la beauté, de l’harmonie, de l’authenticité. « Au fond de moi, je suis heureux de m’inclure dans une tradition. Allez, un Aristide Maillol, un Charles Leplae, un George Grard, voilà mes pères. »
Une ode à la beauté, à la féminité, par la grâce vivante des visages et des corps, des attitudes et des mouvements. De ces jeunes filles, ces jeunes femmes nues, se dégagent une liberté sereine, une douce volupté, un bonheur d’être.
Lucide, le sculpteur ne s’en cache pas le risque : « Le danger de ma quête actuelle qui privilégie la jeunesse est de me laisser obnubiler par la beauté corporelle et de ne pas saisir l’aventure humaine dans un éventail suffisamment large ».
Alfred Blondel aime le souligner : « Tout le travail se fait à trois, le modèle, le sculpteur et, entre eux, l’œuvre à créer. Avec le modèle, nous discutons, nous cherchons ensemble le thème d’une grande œuvre. Je dessine, fais l’une ou l’autre statuette, puis nous nous lançons. »
Ses modèles, au cœur de l’œuvre, deviennent ainsi, à ses yeux, des collaboratrices. Il précise : « Chaque fois que c’était possible, j’ai donné à l’œuvre le prénom du modèle en remerciement pour notre collaboration. […] Même si certains modèles passent comme des étoiles filantes, d’autres vont poser des mois, des années durant, jusqu’à une décennie ».
Elles étaient intégrées à la vie du foyer (Alfred, Myriam, leurs quatre fils), et les relations se poursuivaient parfois alors qu’elles ne posaient plus dans l’atelier.
Au fil du temps, ses expositions se sont multipliées, de galeries privées en centres d’art. Et, à partir des années 1990, quelque dix-huit sculptures prendront place dans l’espace public, à Bruxelles et dans le Brabant Wallon.
Ainsi s’écrit l’histoire d’un artiste, à qui nous laisserons le mot de la fin : « Je vois mon travail comme une navigation entre le rêve et la réalité. […] Je cherche à rendre hommage à la beauté, un souffle humain et féminin qui transcende le temps et l’espace. C’est cela le sens de mon œuvre. »
Francine Ghysen