WePorn. Le X et la génération Y, sous la direction de Julie VAN DER KAR, François DE CONINCK et Pierre-Yves DESAIVE, La Lettre volée/GSARA, 124 p., 22 €, ISBN : 978-2-87317-478-1
Il y a deux décennies, Amélie Nothomb publiait Attentat (Albin Michel, 1997), son cinquième roman, et, au détour d’une histoire d’amour et des normes à respecter ou non en société, elle livrait cette réflexion : « La pornographie, c’est ce qui parvient à susciter un simulacre de désir chez ceux qui ont eu trop de tout. C’est pourquoi, aujourd‘hui, l’art dominant est pornographique: il est le seul qui parvient à attirer l’attention. » Ce qui était déjà vrai il y a vingt ans l’est davantage encore aujourd’hui. En choisissant comme titre d’ouvrage un terme qui détourne un site connu de pornographie en ligne, les éditeurs de ce recueil de textes ouvrent d’emblée le champ d’investigation : « La pornographisation (sic) galopante du monde nous regarde désormais tous et toutes. » Assurer la pertinence du constat, et surtout tenter d’en évaluer les contours au sens large, serait-elle une partie de plaisir ? Le point de départ de cet ouvrage collectif est d’abord une exposition d’artistes et plasticiens contemporains, organisée par le GSARA à Bruxelles en novembre dernier[1]. Il s’agissait moins de remettre en débat les arguments, tant de fois présentés, du pour ou contre la pornographie, que de donner à voir des œuvres où l’image pornographique est reprise, citée, détournée, source de questionnement, dans un environnement où sa surabondance devrait bien finir par trouver une (d)ébauche de sens.
Démontage des stéréotypes
Historiquement, la réflexion sur la norme transgressée en matière de représentation de la sexualité n’est évidemment pas née du dernier tweet de Donald Trump. On peut toujours rappeler cet exemple bien connu de la fresque du Jugement dernier peinte par Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine : un an après la mort du peintre, en 1564, son disciple Daniele da Volterra fut chargé de recouvrir toutes les parties génitales trop apparentes des quelque quatre cents personnages. Et le disciple zélé masqua ou détourna, parfois très habilement et malicieusement, le corpus delicti. De Michel-Ange aux artistes contemporains, les révolutions et contre-révolutions en ce domaine n’ont jamais cessé, quelles que soient d’ailleurs les idéologies dominantes. Sur un sujet aussi vaste, il ne peut donc être question que d’exposer, en images et en textes, des points de vue subjectifs. Les images des artistes, de Damien De Lepeleire à Benoît Félix, en passant par Hervé Ic, le duo Anetta Mona Chi A et Lucia Tra Ova, Pascal Bernier ou Carlos Aires, parmi d’autres, sont souvent drôles, et jouent le jeu du détournement et du démontage des stéréotypes de l’imagerie pornographique. Curieusement, pourtant, ces productions artistiques ont toutes été reléguées en un bloc commun en fin d’ouvrage, ce qui nuit à l’originalité plastique singulière de plusieurs d’entre elles. Ce parti-pris éditorial a également pour conséquence qu’en les regroupant de la sorte, en vrac, on en vient à édulcorer ce que séparément elles peuvent amener comme questionnement subversif, et sans non plus établir de lien apparent avec les textes qui précèdent.
Les ados et le porno
Les trois-quarts de l’ouvrage sont donc essentiellement constitués par les textes de différents chercheurs, auteurs, et intervenants sociaux, psychologue, sexologue, psychanalyste… qui abordent cette question de la « pornographisation » de la société. L’écrivain et psychanalyste Gérard Wajcman rejoint Amélie Nothomb quand il constate que, dans cette ère qui est la nôtre du dévoilement, sans (fausse) honte, de l’intime, « les œuvres d’art qui se veulent aujourd’hui provocantes doivent jouer la surenchère, d’une inflation toujours fatigante, et semblent pour finir assez dérisoires, touchant parfois au grotesque ou au pitoyable. » Le réalisateur Eric Ledune, auteur de Pornography, Magritte 2016 du court-métrage d’animation, rappelle que « le sexe est peut-être moins obscène, grave ou important que bien d’autres comportements, actes ou discours actuels. » Le contexte socio-éducatif des activités du GSARA permet au sexologue Iv Psalti et au psychologue Arnaud Zarbo d’aborder la présence vie Internet de la pornographie dans l’univers des adolescents, des jeunes adultes, mais aussi des enfants, et de replacer la vision, souvent cachée, de ces images dans le contexte du développement socio-affectif et sexuel propre à chaque tranche d’âge. Arnaud Zarbo souligne à juste titre que « la pornographie véhicule en son sein les mêmes stéréotypes, excès et dérives qui sont déjà dans nos sociétés » (il suffit de regarder certaines publicités pour s’en persuader si nécessaire), et insiste sur ce qui devrait apparaître comme une évidence (mais on en est encore loin) : « le rapport à la sexualité (des adolescents) ne va pas uniquement se constituer grâce à la pornographie qu’ils consultent, mais aussi grâce aux valeurs transmises par leur milieu d’origine et d’appartenance. » Enfin, à travers cet éventail de réflexions souvent bienvenues (mais parfois aussi, trop convenues), on retiendra l’évocation, par la journaliste, anthropologue et blogueuse Agnès Giard (« Les 400 culs », sur Libération.fr) du rôle du téléscope et du voyeurisme dans la société japonaise des 17e et 18e siècles : une prise de vue certes partielle, mais non dénuée de savoir, ni d’exotisme.
Pierre Malherbe
[1] Sur l’exposition en elle-même, lire notamment l’article de Guillaume Richard (14/11/2016) sur le site de la revue en ligne Rayon Vert .