Archives par étiquette : Pierre Malherbe

« C’est quoi, cette histoire de fin du monde ? »

Pablo SERVIGNE et Gauthier CHAPELLE, L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents, Seuil, 2022, 192 p., 12 €, ISBN : 978-2-02-146648-5

chapelle et servigne l'effondrement et aprèsC’est Lucie, 13 ans, qui s’adresse ainsi à son père. Elle en a marre de passer pour une idiote auprès de ses potes à l’école, avec leurs histoires d’effondrement de (au choix) notre société, notre civilisation, notre planète, la terre entière. Et en plus, elle flippe, ça l’inquiète ce truc qu’on ne parvient pas à cerner bien clairement. C’est si grave que ça, c’est une catastrophe prévisible, ou au contraire ça peut nous tomber dessus n’importe quand ? Oui, elle sait bien qu’il y a : le réchauffement climatique, la multiplication d’incendies gigantesques, la fonte des glaces dans l’Antarctique, les ouragans, les tornades, les inondations, les réfugiés, les épidémies, les pollutions, les pénuries et la guerre en Ukraine… Mais est-ce que tout ça tient vraiment ensemble ? Continuer la lecture

Les insectes sociaux sous la loupe de Maeterlinck

Maurice MAETERLINCK, La vie des abeilles, Préface de Michel Brix, Bartillat, coll. « Omnia Poche », 2019, 258 p., 12 €, ISBN : 978-2-84100-676-2

Maurice MAETERLINCK, La vie des termites, Préface de Michel Brix, Bartillat, coll. « Omnia Poche », 2019, 160 p., 10 €, ISBN : 978-2-84100-676-6

Maurice MAETERLINCK, La vie des fourmis, Préface de Michel Brix, Bartillat, coll. « Omnia Poche », 2019,198 p., 12 €, ISBN : 978-2-84100-677-9

L’œuvre de Maurice Maeterlinck (1862-1949) dégage une impression générale aussi puissante que celle du massif de l’Everest, quand il n’était arpenté que par quelques rares alpinistes téméraires et aventureux : on ne sait par quelle face il faut l’aborder. Maeterlinck, figure de proue du symbolisme, se dresse presque malgré lui tel un sommet (à ce jour seul prix Nobel-ge de littérature, en 1911), constitué d’innombrables cimes et crêtes dans les domaines du théâtre (Pelléas et Mélisande, 1892, mis en musique par Claude Debussy en 1902), du conte féérique (L’oiseau bleu, dont Stanislavski assura avec grand succès la mise en scène à Moscou dès 1908), de la poésie (Serres chaudes, 1889), de l’essai (notamment sur les mystiques, dans Le Trésor des humbles, 1896), ou encore de la traduction (Novalis). À cette œuvre que l’on croirait réservée à la seule société lettrée, appréciée des avant-gardes, il faut encore ajouter des ouvrages qui connurent un large succès populaire tout au long du 20e siècle, et constamment réédités : sa trilogie constituée par La vie des abeilles (1901), La vie des termites (1926), et La vie des fourmis (1930), que les éditions Bartillat ressortent en poche aujourd’hui. Continuer la lecture

Le top 3 de Pierre Malherbe

Le meilleur de l’année littéraire belge 2019 par les chroniqueurs du Carnet et les Instants. Aujourd’hui : le choix de Pierre Malherbe Continuer la lecture

Hautes fréquences, micro-ondes, et marchés boursiers

Un coup de cœur du Carnet

Alexandre LAUMONIER, 4, Zones sensibles, 2019, 114 p., 15 €, ISBN : 978-293-0601-36-6

Amis lecteurs, ne partez pas de suite à la lecture de ce titre ! Il existe des livres qui, a priori, ne devraient jamais réussir à atteindre, pour différentes raisons, certains de nos contemporains : ils ne lisent pas, ou plus (c’est très tendance, dans un monde où penser et écrire passent pour des pertes de temps et où Proust est synonyme d’ennui abyssal) ; ils ne s’intéressent qu’à l’actualité économique ou boursière (et donc ont développé d’autres capacités supérieures dans un lexique particulier) ; ils préfèrent lire des ouvrages strictement catégorisés (au choix, polar, manga, botanique, colombophilie, gastronomie, philosophie kantienne ou roman historique) ; et parfois la découverte de technologies nouvelles et de codages informatiques performants leur semble plus appropriée à la culture « geek » de l’époque dont ils se revendiquent. À tous ceux-là – s’ils ont la chance que l’information leur parvienne –, mais aussi à tous les curieux de littérature haut de gamme, on recommandera chaudement la lecture de 4 (c’est bien son titre), nouvel opus d’Alexandre Laumonier publié chez Zones sensibles. Continuer la lecture

Paul Colinet, rose en toutes lettres

Paul COLINET, Correspondance avec Rose Capel (1938-1947), Quadri, 2018, 104 p., 25 €

Louis Scutenaire écrivait de « Monsieur Paul » qu’il était « le Don Juan des mots ». Et, à lire les missives que Paul Colinet (Arquennes, 1898 – Bruxelles, 1957) adressa à Rose Capel (née Rosalie Bauwens à Rhode-St-Genèse, 1903 – décédée en Argentine en 1975), épouse du cousin germain de Colinet, on imagine sans peine l’effet merveilleusement ébouriffant que devaient produire ces lettres-poèmes insolites sur la destinataire, de cinq ans la cadette de l’écrivain. L’une des premières, vers 1938, est constituée d’un texte manuscrit, adressé à la « chère cousine », dont le contenu reste caché par un collage : il montre une jeune fille menacée par un fauve… Continuer la lecture

« Mais comment peut-on être artiste ? »

Léon WUIDAR, Mémoires d’un peintre liégeois, 1945-1980, Préface de Xavier Canonne, Perron, 2018, 144 p., 30 €, ISBN : 978-2-87114-260-7

De la même manière que Montesquieu interrogeait l’altérité dans ses Lettres persanes, pour mieux faire saisir qu’il n’y a pas anomalie mais différence, ouverture au monde plutôt que repli sur soi, ainsi pourrait-on retenir entre nos doigts le fil rouge que tend l’artiste Léon Wuidar (Liège, 1938) dans ses Mémoires d’un peintre liégeois.

Élevé, comme il le dit lui-même, « dans le silence d’un milieu familial, scolaire et social peu porté sur les questions esthétiques », le jeune Wuidar devient par la suite professeur de dessin, puis au milieu des années 1970, d’arts graphiques à l’Académie des Beaux-Arts de Liège – tout en cherchant en parallèle son propre chemin artistique. Et c’est probablement ce qui frappe immédiatement le lecteur dans ces mémoires, qui ne couvrent que les quarante premières années de la vie de Wuidar : l’étonnement discret, le regard presque incrédule que l’auteur porte sur l’artiste qu’il est lui-même devenu. Continuer la lecture

Le Top 3 de Pierre Malherbe

La rétrospective de l’année littéraire belge avec le Top 3 des chroniqueurs. Aujourd’hui : le choix de Pierre Malherbe.


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Vaneigem se met à table

Raoul VANEIGEM, Propos de table. Dialogue entre la vie et le corps, Cherche midi, 2018, 350 p., 18 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 9782749155739

Il y a quelque chose de naturellement réconfortant et d’absolument pas vain à lire, encore et toujours, Raoul Vaneigem. Au terme de son livre, Propos de table, dernier paru dans une bibliographie qui compte près d’une quarantaine d’ouvrages depuis 1967, il incite son lecteur, d’une manière délibérée et vibrante, à poursuivre ce que lui-même a entrepris chaque jour : un dialogue entre la vie et le corps. Vaneigem, qui a passé le cap de ce qu’on appelle aujourd’hui le quatrième âge, termine par un paragraphe (l’ouvrage en compte quelque sept cents de longueurs diverses, qui font tantôt trois lignes, tantôt une page) d’un optimisme sans défaillance. « Le corps, écrit-il, est un édifice terrestre – une cathédrale minérale, végétale, animale et humaine – qui commence à peine à se bâtir. » Déclaration non pas de foi, pour l’agnostique et le pourfendeur des religions qu’il reste (« Dépasser Dieu c’est réaliser l’humain »), mais bien de volonté : face à une société qui place toujours plus haut le struggle for life, où la marchandisation atteint toutes les structures du corps social et mental, pour mieux en miner les résistances et en saper les rébellions, il faut, nous rappelle l’auteur du Livre des plaisirs (Espace Nord, 2014), rugir par un « Souviens-toi de vivre » libérateur et puissant, dont tous les possibles restent à explorer. Continuer la lecture

Tout le reste est littérature

Jacques DUBOIS, Tout le reste est littérature, entretiens avec Laurent Demoulin, Impressions nouvelles, 2018, 240 p., 17 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87449-574-8

dubois tout le reste est litteratureL’entretien littéraire est un genre littéraire en soi, qui non seulement peut s’avérer une source historiquement inestimable comme témoignage vivant d’un temps réel (Paul Léautaud avec Robert Mallet en 1950, André Breton et André Parinaud en 1952), mais également, en ce qu’il révèle une part de création littéraire inédite : quand Modiano soumet à l’interrogatoire Emmanuel Berl (en 1976), ou lorsque Pivot laisse le champ libre à Marguerite Duras (en 1984), on est bien obligé de reconnaître qu’il se dessine là autre chose qu’un simple question/réponse : dans l’entretien, l’écrivain parvient à se donner la parole, et à s’approprier une forme de discours (construit souvent, mais pas toujours) qui font intervenir des éléments que précédemment un texte littéraire de l’auteur n’a pas toujours pu, ou voulu, dévoiler. Continuer la lecture

Pas de quartiers dans la révolution

Marcel MARIËN, Théorie de la révolution mondiale immédiate, postface de Laurent de Sutter, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2018, 224 p., 8,50 €, ISBN : 978-2-87568-138-6

marien theorie de la revolution immediate.jpgQuand Marcel Mariën publie en 1958, dans Les Lèvres Nues – revue qu’il a fondée en 1954 avec sa compagne Jane Graverol et Paul Nougé – la Théorie de la révolution immédiate, il en fait immédiatement imprimer un tiré-à-part, qu’il diffuse comme un petit volume, indépendant de la revue. Vaille que vaille, il assurera en Belgique et un peu en France, la diffusion de cet essai, qui se trouve aujourd’hui réédité sous cette forme dans la collection Espace Nord. Dès les premières pages, Mariën met en garde, non sans ironie, sur la portée de son texte. « Par révolution mondiale, il faut comprendre ici, très exactement, le renversement du capitalisme dans tous les pays du monde où ce renversement n’est pas accompli. » Et il ajoute, presque goguenard : « Par immédiate, il faut entendre que le programme que nous allons exposer s’inscrit dans une période fixée à un an (sic) ; délai approximatif au-delà duquel il serait oiseux d’escompter sa réussite, celle-ci étant obligatoirement tributaire d’une action intense et rapide. » Continuer la lecture

Keguenne à la fortune du mot

Jack KEGUENNE, Échantillon d’imposture, Éléments de langage, 2017, 256 p., 14 €, ISBN : 978-2-930710-13-6

keguenne échantillon d impostureVoilà bien quatre décennies que Jack Keguenne, ce bourlingueur de l’écriture visuelle regardée en miroir – graphie pour graphisme –, ce dérouilleur des mots – écrits au petit bonheur la chance –, éparpille, disloque, dézingue le quotidien des jours. Il agit sans s’assagir, en écrivant ardent, en écrivain éruptif, en « concubin des dictionnaires », en poète colocataire des lettres, celles qui forment des alphabets indociles et rétifs, « une broderie de lettres qui fait tissu de sens », plutôt que celles qui s’inscrivent dans les actes notariés des institutions. Continuer la lecture

Marcel Lecomte, surréaliste appliqué dans la discrétion

lecomte alcoves.jpgMarcel Lecomte. Les alcôves du surréalisme, Textes de Paul ARON et Philippe DEWOLF, lettres de René MAGRITTE, préface de Michel DRAGUET, Cahier n°22 des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 144 p., 20 €
Exposition jusqu’au 18 février aux M.R.B.A.B., rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles.

Une exposition et une publication rappellent le souvenir de Marcel Lecomte, acteur discret du surréalisme en Belgique, écrivain, poète et critique d’art qui publia en 1964 Le Carnet et les Instants – un titre qui accompagne depuis sa naissance la revue de la Promotion des lettres belges. Continuer la lecture

Le top 3 de Pierre Malherbe

La suite de notre rétrospective de l’année. Aujourd’hui : le choix de Pierre Malherbe.


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Le jeu de dominos de François Jacqmin

François JACQMIN, Le Domino gris. Poèmes en prose, Postface de Laurent Robert, Taillis Pré, 2017, 154 p., 18 €, ISBN : 978-2-87450-124-1

jacqmin le domino grisEnfant, nous jouions aux dominos, tout en nous travestissant sous un masque de tissu. Adolescent, nous tentions d’en saisir les combinaisons mathématiques, en rêvant d’un carnaval à Venise. Jeune adulte, nous écoutions en boucle une pièce pour clavecin de François Couperin, Les Folies françoises, qu’il avait dédiée aux dominos. Le domino chez Couperin, compositeur du XVIIIe siècle, ne désignait ni le jeu, ni le masque, mais bien tout un habit de bal masqué, surmonté d’un lourd capuchon. Dans ses variations musicales, Couperin avait associé une caractéristique humaine à chaque couleur de vêtement : le rouge sang pour l’ardeur, le noir pour le désespoir, le bleu pour la fidélité… et le gris pour la persévérance. Continuer la lecture

L’espace des esprits fendus

Eugène SAVITZKAYA, Sister, avec des dessins de Bérengère VALLET, préface d’Hélène MATHON, L’œil d’or, 2017, 64 p., 11 €, ISBN : 978-2-913661-81-3

savitzkaya sister.jpgOn peut aborder les textes d’Eugène Savitzkaya qui composent ce petit recueil intitulé Sister, d’au moins deux manières distinctes, tant l’écriture se tient d’elle-même sur une crête : celle qui sépare ordinairement le monde des gens dits « normaux » de celui qu’on peut appeler ici les « esprits fendus ». Les « esprits fendus » sont ceux qui vivent, et le plus souvent jusqu’à leur fin, dans un « espace du dedans » (pour reprendre un titre d’Henri Michaux), et cependant plongés, immergés, noyés parfois, dans le monde des « normaux ». L’espace du dedans schizophrénique est absolument individualisé, radicalement personnalisé, si on le rapporte à la norme du vivre en société, alors que tout « esprit fendu » possède en lui-même, jusqu’aux plus douloureuses souffrances, son corps, ses doubles, ses gestes, actes et langages, ses dialogues et ses pensées, ses douceurs et ses haines, ses amours et ses désespérances. Continuer la lecture

Écriture, lune de miel, et autres abeilles

Un coup de cœur du Carnet

Jean-Philippe TOUSSAINT, Made in China, Paris, Minuit, 2017, 188 p., 15 €/ ePub : 10.99 €, ISBN : 9782707343796

toussaint made in chinaDans Made in China, entre roman, fiction et réalité, l’auteur de Football retrace ses tribulations de tournage dans l’ancien Empire du Milieu.

On avait laissé Jean-Philippe Toussaint nous dévoiler, durant l’été 2015, une robe toute en miel, portée par une mannequin lors d’un défilé de mode, et poursuivie par un essaim d’abeilles : son court-métrage The Honey Dress, réalisé en Chine à partir d’un épisode de son roman Nue, était alors présenté à Bozar, durant l’exposition « Les Belges. Une histoire de mode inattendue ». Lorsqu’on a proposé à Jean-Philippe Toussaint d’effectuer un premier voyage en Chine, et qu’on lui a demandé quelles étaient ses conditions, l’écrivain et réalisateur n’en n’a formulé qu’une : « Rester longtemps. » C’est sans doute pour cela que, depuis le début du 21e siècle, et bien avant The Honey Dress, il s’est rendu à plusieurs reprises à Pékin, à Shanghai, à Guangzhou, à Changsha, à Nankin, à Kunming, à Lijiang. Et qu’il est revenu encore à Guangzhou. Nous qui ignorons beaucoup de choses sur la Chine (vous avez une idée des distances séparant ces mégapoles, vous?) et notamment de ce qu’il en est là-bas du monde de l’édition (pour ne s’en tenir qu’au mandarin), nous n’imaginions pas qu’il y ait eu pratiquement à chaque fois derrière ces voyages, son éditeur chinois (accessoirement aussi, celui de Beckett et de Robbe-Grillet). À la fois homme de lettres, professeur aux Beaux-Arts, directeur d’un centre d’art, peintre estimé, Chen Tong, c’est son nom, est également chef d’entreprises en tout genre, producteur de films, et le “leader of the gang” de quelques jeunes Cantonais qui gravitent dans son orbite et ses affaires, là où le commerce et les arts ont souvent partie liée. Continuer la lecture