Rues mode d’emploi

Éric DEJAEGER, Streets (loufoqueries citadines), illustrations de Jean-Paul Verstraeten, Gros Textes, 2017, 112 p., 10 €, ISBN : 978-2-35082-330-0

dejaeger streetsNaguère professeur de langues et d’économie, Éric Dejaeger fait partie de cette armée des ombres qui, sans toit ni loi, sont les indispensables SDF de la littérature. Ces poètes qui à force de souffler dans les trous de nez des muses, risquent peu d’être hébergés dans leurs cénacles. On ne s’étonnera pas que ce vagabond des lettres compte parmi ses amis de cœur et de plume des personnalités aussi joyeusement bactériennes que Mariën, Scutenaire, Chavée ou Bukowski.

Auteur d’une flopée d’écrits marqués par l’inventivité verbale et par les astuces somptueuses et malignes de l’art pauvre, Éric Dejaeger parcourt cette fois une drôle de ville au gré de rues dont les noms illustrent son univers mental. Ce qui donne une centaine de couplets, ou plus exactement nonante-neuf (élégance frondeuse et allergie à la loi dite des bonnes formes, sans rapport avec les tarifications finaudes des vendeurs de chaussures et de nippes….). Sous leurs apparences farfelues et foldingues, on retrouve dans ces courts textes dopés par la fertilité du terreau surréaliste, les émergences d’une réflexion ou plus exactement d’un questionnement philosophico-politico-social buissonnier, désinvolte et fortifié par  le recours à l’absurde comme à l’esprit potache revendiqué par l’auteur de ce Streets et de ses « loufoqueries citadines».

Au fil du parcours, l’auteur,  tout en détaillant les singularités de ces rues fantasques, prévient aussi ceux qui s’y risquent des pièges qu’elles peuvent leur tendre. Comme cette Rue des Politiciens où « il est assez dangereux/ de s’aventurer » et où il convient notamment d’éviter « les rafales de fausses promesses/ & autres armes/ de destruction massive/ de la démocratie ». Il est bon à savoir aussi que : « Étroite/ sans jamais de soleil/ à cause de ses hautes/ façades aussi grises/ que démoralisantes/ la Rue de la Raison/ n’est attirante/ que pour celles et ceux/ qui veulent/ impérativement/ marcher au pas ».  Gare aussi aux beaux pièges des sentiments : « Si un homme/ croise une jolie femme/ dans la Rue des Amours/  Impossibles/ il ne faut surtout pas/ qu’il fasse demi-tour/ sous peine de devoir/ la suivre/ éternellement ». Une rue peut aussi se montrer jalouse de ses privilèges hautement appréciables. Ainsi « La Rue du Temps Perdu/ est strictement réservée/ aux flâneurs professionnels/ aux oisifs de formation/ aux je-m’en-foutistes diplômés./ Son nombre de surplaçants/ est légalement limité/ & il faut attendre/ longtemps avant/ d’être autorisé/ à y entrer. »  On imagine d’ailleurs qu’Éric Dejaeger y jouit du statut de citoyen d’honneur. Précisons aussi que sa promenade est joliment agrémentée des dessins et collages raffinés du graphiste Jean-Paul Verstraeten.

Ghislain Cotton