Au hasard des rues du monde…

Philippe LEUCKX, D’obscures rumeurs, Pétra, 2017, 67 p., 12€, ISBN : 9782847431711

leuckx obscures rumeursIl n’y a, au fond, que deux sortes de poètes, les sédentaires et les autres, les nomades auxquels appartient assurément Philippe Leuckx. Si certains s’enorgueillissent du chant des pistes, c’est du côté plus ombrageux des ruelles de la ville qu’il faut chercher les pas du poète. Venelles sombres débouchant sur une artère plus large, sur un quai de gare ou de port. Quand la nuit tombe sur la cité, Philippe Leuckx s’éveille ! Arpenteur inlassable, il parvient à dénicher derrière une porte, un porche, dans l’encoignure d’une façade, le langage subtil des murs gorgés de souvenirs et de rumeurs. Le murmure des villes résonne à l’oreille du poète qui use des sonorités allitératives ou assonantes du poème, le plus souvent, pour en rendre l’écho particulier.

Si vous voulez qu’une ville vive vite et veuille un peu de vous
Vous fasse un peu de place
Vous verse dans ses voix
Vous irez de vous-même vous égarer dans ses gares
Ses rumeurs

Déjà, dans Selon le fleuve et la lumière, paru aux éditions Le Coudrier en 2010 et pour lequel il avait reçu le prix Emma Martin, Philippe Leuckx nous donnait le goût de l’errance citadine, dans l’entre-deux de ces heures où l’on ne distingue plus les chiens des loups.

À la lisière du soir
et des voix
qui échangent
déjà
le jour
contre d’autres notes
on murmure
dans la ville
et ces remous
et ces rumeurs
s’offrent
l’air d’un trottoir
d’une rue
émiettée
dans l’ombre
tout est signe

Rome, Lisbonne, Bruxelles qui portent chacune leur propre rumeur, leur propre passé et donc aussi celui du monde et de l’histoire qui vibre comme vibrent les frontons des palais ou les hommages des places publiques. Comme à Porto par exemple où le poète fait resurgir au coin d’une rue, l’ombre portée d’une librairie d’antan.

Le passé remue au gré des gravats
des portes enchaînées
et parfois de la rue qui descend très fort avec ses
balcons de réserve et ses azulejos
monte une mémoire d’imprimeries enfouies
d’obscures librairies
de ferronniers cachés dans une lumière qui tremble
portuane et amère
tout cela perdu
et pour toujours

À la fois mélancolique et aventureuse, la poésie de Philippe Leuckx assume pleinement sa fonction mémorielle. L’âme des villes perle dans ces vers calibrés où le temps file trop vite malheureusement. Mais, avec la danse des vers, le poète rattrape les époques, toujours allant, curieux, au hasard des rues du monde…

                                                                                                                      Rony Demaeseneer