Claire DEVILLE, Les citrons, Murmure des soirs, 2017, 101p., 12€, ISBN : 978-2-930657-36-3
La narratrice est une jeune femme dont la vie en dehors de sa passion déçue nous échappe, s’est figée : on la découvrira figurante lumière un peu gauche et désormais pétrie de rêves hallucinés ou amers. Une de ces héroïnes candides et crues à la fois qui ont aimé danser sous un regard aimant mais ne vivront plus de pas de deux avec le partenaire élu. Une amoureuse (é)perdue, une laissée-pour-compte qui n’a plus qu’une maison jadis partagée où se tapir loin du monde et revivre à l’envi le manque de l’être adulé, parti au bras d’une autre : « Tu es avec elle le matin. Tu ouvres les yeux en face des siens. Tu dis bonjour tout sommeil sur ses lèvres, avant de tirer sur les draps et de jouer à faire le chat pour la réveiller en riant. »
À force de « passer l’amour à la machine », de muséifier le peu qui reste de leur lien (entre la perruche qu’elle a laissé sécher dans sa cage et sa tasse rouge qu’elle ne sort que les grands jours), de chercher à empailler avec une méticulosité que la douleur rend obsessionnelle les moindres fragments de leur relation – avec une fixette sur les odeurs, notamment corporelles, si désespérément volatiles – sa mémoire s’effiloche et sa raison prend dangereusement la tangente.
En 2013, Claire Deville avait marqué de son empreinte la dernière édition du concours de l’Apaj – Libération avec la nouvelle « Un dernier tango à Bruxelles », puis livré, toujours dans le sillage fiévreux de sa passion dansée Les poupées sauvages, tango (éditions du Delirium). Les citrons, son deuxième roman, rend soie puis barbelé le fil d’une addiction amoureuse qui mènera son personnage jusqu’au confinement. Se fait mosaïque aux tessons de plus en plus saillants. Le lecteur, harnaché voire enlacé à l’héroïne dans sa supplique, tantôt cherche à interrompre brutalement sa spirale charnelle et mémorielle comme on arracherait la croûte d’une plaie mal guérie, tantôt se laisse entièrement envahir par les parfums – doux, épicés ou gorgés de transpiration aigre et de moelle mentale vacillante – et les souvenirs de villégiature insulaire ou de petits matins tendres semés dans l’espoir insensé qu’ils ressurgissent, plus merveilleux, plus vivaces.
Mais ne dit-on pas que les histoires d’amour finissent mal, en général ? Si la vie te donne à goûter l’acidité des citrons, n’en fais pas de la limonade…extrais-en le jus et trempes-y ta plume pour nous donner à lire la migration impressionniste d’un esprit épris ayant définitivement quitté les rails.
Anne-Lise Remacle