Un coup de cœur du Carnet
Nicole MALINCONI, Hôpital silence suivi de L’attente, postface de Jean-Marie Klinkenberg, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2017, 224 p., 9 €, ISBN : 9782875681485
Nicole Malinconi n’avait pas envisagé d’écrire un jour. Mais lorsque l’écriture s’est imposée à elle, à l’âge de trente-huit ans, plus jamais il n’a pu en être autrement. Et dans un geste admirable, programmatique, que l’on pourrait dire définitif s’il n’était inaugural, dans Hôpital silence, elle a déposé sa poétique à venir. Elle a commencé à l’écrire quand elle a perdu son emploi, le travail le plus important de sa vie jusqu’alors, le poste d’assistante sociale qu’elle occupait, depuis 1979, à la Maternité provinciale de Namur, au service du docteur Peers, un médecin humaniste tout entier dévoué à la cause des femmes.
À la fermeture du service où l’on pratiquait à la fois des accouchements et des avortements (encore interdits en Belgique à cette époque), elle a pensé simplement apporter un témoignage. De ce qui était dit et tu dans cet endroit particulier. Elle l’a fait à sa façon, une façon qui s’est révélée littéraire. Par fragments (récits, inventaires…). Désossage. Condensation. Re-compositon. Par le rendu au plus près possible des mots entendus, retenus, sauvés ainsi de leur perte inéluctable ; et par une attention toute particulière au corps, au concret – au réel.
Marguerite Duras disait d’Hôpital silence : « C’est un livre de littérature. Un écrit. Un texte. Seule la littérature pouvait être à la hauteur de ce drame. »[1]
Plus de trente ans après sa première publication, ce livre paru initialement aux éditions de Minuit, et que l’on ne cesse de redécouvrir grâce à la collection Espace Nord, garde toute la puissance de l’inouï.
On y entend, à chaque fois pour la première fois : la solitude, la peur, l’angoisse des femmes venues accoucher, avorter, se faire soigner.
On y entend ce que les médecins et les infirmières n’entendent pas, enfermé.e.s dans leur monde fonctionnel, parfois aveuglé.e.s par la haine de la femme venue avorter.
On y entend ce que les femmes disent de leur corps à leur corps défendant : des mots qui leur échappent et achoppent dans le neutre propre et aseptisé de l’hôpital.
On y entend ce qui est rapporté de façon plurivoque : par le discours direct, indirect, indirect libre, narrativisé, avec ou sans guillemets…
En somme, on entend que l’hôpital est une machine à annihiler, censurer le corps. Ses souffrances et ses désirs. Entendrait-on la même chose de l’hôpital actuel ? Probablement. Nicole Malinconi avait si bien décontextualisé l’établissement dont il est question que Marguerite Duras avait pu penser qu’il se situait en région parisienne. Il en va de même pour sa temporalité. À moins d’un changement radical de société – ce qui n’arrivera pas de sitôt – Hôpital silence restera toujours de notre présent.
En ajout, Espace Nord propose la réédition de L’attente, le deuxième livre de Nicole Malinconi, publié en son temps par Jacques Antoine dans la collection « Le vice impuni ». Court roman ou longue nouvelle, on y découvre la vie de Louise Blanc, une femme partie vivre à la ville et revenue dans son village où elle habite avec son fils, sous la coupe et les coups d’un homme alcoolique et la mère de celui-ci. On suit, le temps d’une journée, sa vie coupée en deux : amoureuse, parleuse et rieuse quand elle était à la ville ; privée de mots, de regard, d’avenir, plus morte que vive depuis son retour. Toujours plus morte. Sous influence durassienne, L’attente est le seul texte de fiction à ce jour de Nicole Malinconi. Il le restera probablement. La fiction n’est pas la voie de l’auteure. Ce qui rend plus précieux encore l’édition d’Hôpital silence dans la collection Espace Nord.
Michel Zumkir
[1] Dans la préface des éditions dans la collection « Espace Nord » de 1996 et 2008, successivement aux éditions Labor et aux éditions Luc Pire. Remarquons que cette préface de Marguerite Duras n’est pas reprise dans l’édition de 2017.