COLLECTIF, L’heure du leurre, Ker éditions, coll. « Double jeu », 2017, 212 p, 10 €/ ePub : 4.99 €, ISBN : 978-2875862082
Ils sont onze. Onze écrivains à avoir participé à ce projet : un recueil de nouvelles pour adolescents. Onze plumes pour aider les jeunes à penser le populisme, l’obscurantisme, le racisme déguisé en bon sens, l’abandon de l’humanisme au profit d’idées simplistes tenues par des politiciens tantôt marionnettistes, tantôt marionnettes, ou par de simples citoyens passés du côté obscur de la démocratie.
Le livre s’ouvre sur un texte de Jang Jin-Sung, poète et ancien haut fonctionnaire nord-coréen. Il raconte sa progressive désillusion face à la propagande de Kim Jong-Il. L’espace séparant la façade montrée par le régime dictatorial et la réalité brutale (à peine) cachée derrière celle-ci est tel que l’effroi pousse l’auteur à fuir son pays au péril de sa vie.
À ce témoignage, d’autant plus glaçant qu’il est authentique, font suite dix nouvelles. Ce sont des fictions, certes, mais si réalistes pour certaines qu’on sait qu’elles auraient pu se produire, parfois bien près de chez nous. Barbara Abel s’interroge sur l’intégrité d’étudiants en Arts graphiques face aux autorités. Geneviève Damas dépeint une Chine qui tente d’effacer son passé et dont la censure est si ancrée dans les âmes qu’elle n’a plus besoin d’être énoncée par les politiques. Armel Job écrit la confession d’une femme de ménage et relate les effets potentiellement dévastateurs de la dénonciation anonyme, geste peu glorieux parfois posé dans les périodes les plus sombres de l’histoire. Un geste qui revient dans la nouvelle d’Emmanuelle Urien, où un jeune raciste se défoule de sa jalousie envers un camarade arabe en le faisant passer pour futur djihadiste. Frank Andriat narre l’apprentissage de la démocratie et de la loi du plus fort lors d’une élection de délégué de classe. Patrick Delperdange met son protagoniste, en situation de précarité, devant un choix difficile lorsqu’on lui propose de jouer les gros bras pour un parti aux mœurs discutables. Nicolas Ancion montre un bourgmestre qui, tel un prestidigitateur, fait disparaitre l’argent public tout en donnant l’impression de servir ses concitoyens. Vincent Engel signe un texte épistolaire dans lequel les « clairs » chassent de leur cité universitaire les « sombres », avant que n’éclate une guerre qui aura raison des liens amicaux existant entre les narrateurs. Chez Bernard Tirtiaux, la peur du nucléaire fournit des arguments à un politicien peu scrupuleux. Grégoire Polet clôt le recueil en dépeignant, dans un futur proche, une autre Belgique. Amputée d’un tiers de son territoire par la montée des eaux, elle se dirige néanmoins vers des lendemains radieux grâce à la démocratie participative et l’urbanisme écologiste. Une note optimiste pour laisser entrevoir des solutions aux problèmes évoqués tout au long du livre ?
La question du choix revient dans plusieurs récits qui mettent un personnage devant un dilemme : choisir l’humanisme ou l’exclusion ? Ils donnent à réfléchir sur ce qui amène les individus à se tourner vers des choix faciles, des raisonnements simplistes, la déresponsabilisation et le bouc émissaire comme instruments politiques favorisant tous les démagogismes, populismes, ou nationalismes. La lâcheté y est un ressort récurrent. Sans verser dans le manichéisme, les auteurs des nouvelles poussent à s’identifier à des personnages dont on comprend, petit à petit, ce qui les mène à choisir (ou pas) le repli identitaire, la soumission au plus fort.
En 2015, Ker éditions avait publié un premier recueil de quatorze nouvelles thématiques, Le peuple des Lumières, autour du fondamentalisme et du terrorisme. En rassemblant un très beau casting, L’heure du leurre offre à nouveau aux adolescents un intéressant outil de réflexion et de débat. De quoi éclairer les jeunes esprits quand l’époque s’obscurcit.
Fanny Deschamps