Archives par étiquette : maternité

La présence qui soigne

Alia CARDYN, Le monde que l’on porte, Robert Laffont, 2023, 251 p., 19 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782221262832

cardyn le monde que l'on porteLe nouveau roman d’Alia Cardyn nous fait découvrir le destin de deux héroïnes issues d’une lignée de sages-femmes. Dans cette famille, toutes les filles portent le même prénom, Rosa, et se voient attribuer la même mission dès leur naissance. Ce réseau de femmes fortes forme un tout indissociable où un peu de chacune se retrouve dans les autres, une tribu qui devient presque un être vivant à part entière.

Parce que j’ai dix-huit ans, je préside notre tablée féminine, composée de la famille élargie. Ma mère, mes cousines, ma sœur, mes tantes, ma grand-mère, mes grands-tantes. Chaque étape de la vie nous réunit. Les anniversaires, les mariages comme les divorces, les naissances aussi. Nous les célébrons avec les hommes, puis, pour une raison obscure, nous renouvelons la fête entre nous. Loin d’eux, l’atmosphère est différente. Les femmes franchissent le seuil, dotées d’une liberté nouvelle. Elles se détendent, révèlent des traits de personnalité qu’elles dissimulent en la présence de leurs compagnons. Ça parle plus fort, ça rit, ça pleure parfois. Continuer la lecture

Les vies du bord de mère

Emmanuelle POL, Les bracelets d’amour, Finitude, 2023, 128 p., 15 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782363391834

pol les bracelets d'amourSublimée, célébrée, sanctifiée et toujours mystifiée dans la plupart des cultures, la maternité est une expérience étrange et singulière qui, faut-il le rappeler,  ne saurait se résumer aux images doucereuses qui l’entourent. Voici un recueil de nouvelles qui en dessine les paradoxes, qu’on l’envisage sous l’angle de la mère elle-même, de ses enfants ou de son conjoint. Le premier texte, « Les bracelets d’amour », qui offre son titre au volume, donne le ton : une jeune femme est face à son enfant et elle est engloutie par sa maternité dans laquelle elle est recluse. Ce petit être envahissant prend le pouvoir, dicte ses horaires, envahit l’espace de ses cris, l’air de ses odeurs, les nuits de ses pleurs, l’esprit de ses besoins indéchiffrables. Assez pour que la submerge une forme de désespoir qui entame son désir de vivre :

D’ici quelques heures, l’homme rentrera, fringant, fleurant bon l’eau de Cologne et l’extérieur, tandis qu’elle sera là, minable, grossie, idiote, dans les décombres du petit-déjeuner et les odeurs de lait rance. Continuer la lecture

Verbe, obstétrique et kintsugi

Sophie WEVERBERGH, Précipitations, Verticales, 2022, 272 p., 20 €, ISBN : 9782072950094

weverbergh precipitationsLa littérature est un champ de bataille, un combat. Mené contre soi ou contre les autres. Dans Précipitations, premier roman de Sophie Weverbergh, le récit s’apparente à un ring sur lequel danse une narratrice nommée Pétra. Ou plutôt, conforme à l’étymologie de son prénom, Pétra est une pierre, un petit caillou qui coule. En treize chapitres ancrés dans une esthétique de la distance et de l’humour, Pétra, 37 ans, enceinte, mère d’un jeune garçon, belle-mère de deux autres enfants, nous délivre des monologues coulés dans une introspection météorologique. Une auscultation des précipitations mentales qui la frappent alors qu’elle est gravide. Un fragment de Poésie verticale de Roberto Juarroz se tient aux avant-postes de ce récit qui décrit les cercles concentriques de ce qu’on peut appeler dérives intérieures ou psychose périnatale dans notre société contemporaine qui psychiatrise à tour de bras pour mieux contrôler, enfermer, annihiler ceux et celles qui ne jouent pas le jeu de la grande machine sociale. Continuer la lecture

Bouillon de culture

Tina MOUNEIMNÉ VAN ROEYEN, Voici venir le soleil. Balades avec mon fils, Complicités, 2021, 105 p., 12 , EAN : 978-2351203712

Voici-venir-le-soleilVoici venir le soleil. Balades avec mon fils est présenté comme la suite de Je pousse donc je suis. Balades avec ma fille, qui était un hommage à la promenade urbaine. Dans cet opus, nous sommes amenés à lire un recueil de fragments qui relèvent davantage d’un hommage à la rencontre.

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De la difficulté de l’attachement

Verena HANF, La fragilité des funambules, F. Deville, 2021, 300 p., 23 €, ISBN : 9782875990396

hanf la fragilité des funambulesLes romans de Verena Hanf pétrissent toujours le matériau humain. La fragilité des funambules, dernier livre de l’autrice, ne déroge pas à la règle. On y retrouve également un autre invariant chez Hanf, qui se niche dans la mise en présence, voire dans la mise en friction, d’êtres et d’univers qui se seraient développés en parallèle si des éléments extérieurs n’avaient pas provoqué une rencontre. Comme celle d’Adriana, une jeune Roumaine au passé aussi rugueux que l’attitude qu’elle affiche, et Nina Jung, une psychologue confortablement installée aux agacements multiples. Tout, pratiquement, éloigne les deux femmes : leurs racines, leur éducation, leur statut social et marital, leur inscription au monde. Une faille aiguë les rassemble toutefois : leur maternité contrariée. Continuer la lecture

Le parent, l’étiolement

Claire PONCEAU, L’enfant, l’étoilement, Photographies France Dubois, Éléments de langage, 2020, 149 p., 20 €, ISBN : 978-2-930710-20-4

ponceau l enfant l etoilementL’enfant n’a pas été conçu non, ce n’était pas prévu, je n’ai jamais prévu beaucoup de choses. Prendre un sac, pour les courses, le nombre de culottes correspondant au nombre de journées plus deux, oui. Je n’ai pas conçu l’enfant. Avec l’enfant, il a tout fallu concevoir.

Le prénom et le sexe de cet enfant viendront plus tard. Quand l’enfant n’est pas voulu, il est possible de protéger ses sentiments en s’imposant une distance par rapport au sujet ; alors traité plutôt comme objet. D’un point de vue littéraire, la plume permet d’en parler à la troisième personne, cela aide. Cependant, la proximité et le trouble sont si grands qu’ils remettent tout en cause grammaticale, lexicale, syntaxique. Continuer la lecture

Un joyau nécessaire au creux des mains

Victoire de CHANGY, La paume plus grande que toi, Arbre de Diane, 2020, 121 p., 12 €, ISBN : 978-2-930822-17-4

Nour a dix mille visages
et change à chaque seconde
ses cils
ses jambes s’allongent déjà
et le temps de détourner les yeux de lui
pour retrouver l’ancien Nour
sur les photographies
le temps d’y revenir
Nour
est
à nouveau
nouveau

Dans ce premier volume d’une trilogie annoncée, le temps s’immobilise, reprend, ralentit, redémarre, nous offrant des épisodes contemplatifs dans lesquels, par petites touches, Victoire de Changy illustre, avec douceur, sa maternité. Elle nous plonge dans l’avant et l’après naissance de Nour, son fils, et nous permet de suivre cet enfantement, de le vivre, avec elle, en elle, intimement et intensément. Continuer la lecture

De la complexité des relations fusionnelles

Evelyne HESPEL, Le petit tsar, Acrodacrolivres, 2018, 276 p., 18 €, ISBN : 978-2930956350

Nous entrons dans le quotidien de Nancy, une biologiste de quarante-cinq ans qui vit avec son fils Corentin et Adam, un psychiatre renommé. Nancy est habitée par de nombreuses angoisses (peur des microbes, des ascenseurs, de la foule…), mais elle est aussi et surtout très anxieuse vis-à-vis de son fils qui a raté le bac et fume des joints. Elle a une relation fusionnelle avec lui et même si elle est consciente de son problème, elle reste enfermée dans l’ambivalence de son comportement. Continuer la lecture

Mal de mère

Valérie NIMAL, Nous ne sommes pas de mauvaises filles, Anne Carrière, 2019, 17 €, 172 p., ISBN : 978-2-8433-7932-1

Au chevet de sa mère, hospitalisée pour avoir une fois encore joué avec les limites mortelles, la narratrice n’en mène pas large. Il faudrait que la température du corps de l’alitée, à deux doigts de jouer sa dernière grande scène, redevienne acceptable. C’est que la génitrice de Maud et de sa sœur cadette, Marie, n’est pas de celles qui s’effaceraient sans bruit. À peine sortie des limbes, la voici d’ailleurs qui réclame son fer à friser, un Paris Match et surtout, de l’attention. Qui tempête sur le personnel soignant, congédie son psychiatre, et admoneste son aînée pour avoir écrit « suicide » dans le dossier médical.   Continuer la lecture

Mères démantelées

Maria DE LOS ANGELES PRIETO MARIN, Disparition à Isla Mujeres, Cygne, 2018, 173p., 18€, ISBN : 978-2-84924-545-3

Il y a douze ans, Joyce est partie au Mexique avec son mari Richard et sa fille Lily de deux ans. Un moment d’inattention sur la plage et la petite a disparu. La police mexicaine, le consulat américain et un détective privé se penchent sur cette affaire. Leur conclusion : Lily a été enlevée. Par qui ? On ne sait pas. Après des mois de recherche, la police, les avocats, les détectives et même Richard baissent les bras. Continuer la lecture

Lettre à ma mère

François TEFNIN, Est-ce que tu as la clé ?, Murmure des soirs, 2018, 138 p., 15 €, ISBN : 978-2-930657-45-5

La perte d’un parent – père ou mère – est bien entendu courante et « logique » : les plus vieux s’en vont les premiers. On salue une dernière fois cet être qui nous a élevés, aimés, choyés. Parfois, le temps des adieux s’allonge et peut durer quelques années. La vieillesse guette chacun d’entre nous. Certains s’éloignent en un éclair, sans prévenir. D’autres font durer le plaisir. Toutefois, leur état ne rime pas toujours avec éclat et s’accompagne souvent d’une perte progressive des repères, de la mémoire et/ou des facultés motrices. La maison de retraite devient une issue inévitable. Et les enfants, sur qui la mère a veillé toute sa vie, se retrouvent dans la posture obligatoire de devoir veiller à leur tour sur leur propre génitrice. Les rôles s’inversent. François Tefnin dédie Est-ce que tu as la clé ? « à toutes les mères qui, au crépuscule de leur vie, se morfondent derrière les murs de maisons de retraite, dissimulées aux regards. Parfois même à leur propre vue. » Continuer la lecture

Vous avez des enfants ?

Line ALEXANDRE, L’Enclos des Fusillés, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2017, 240 p., 15 €, ISBN : 9782874894398

alexandre l enclos des fusillésSi le roman policier a envahi à ce point l’espace littéraire au cours des dernières décennies, c’est sans nul doute que, comme l’affirment des maîtres du genre, sa pratique leur permet de cerner au mieux notre époque, d’en dévoiler les rouages, de dépasser la vérité apparente des choses. Le nouveau roman de Line Alexandre s’inscrit pleinement dans cette logique. Continuer la lecture

Une affaire de femmes

Un coup de cœur du Carnet

Nicole MALINCONI, Hôpital silence suivi de L’attente, postface de Jean-Marie Klinkenberg, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2017, 224 p., 9 €, ISBN : 9782875681485

malinconiNicole Malinconi n’avait pas envisagé d’écrire un jour. Mais lorsque l’écriture s’est imposée à elle, à l’âge de trente-huit ans, plus jamais il n’a pu en être autrement. Et dans un geste admirable, programmatique, que l’on pourrait dire définitif s’il n’était inaugural, dans Hôpital silence, elle a déposé sa poétique à venir. Elle a commencé à l’écrire quand elle a perdu son emploi, le travail le plus important de sa vie jusqu’alors, le poste d’assistante sociale qu’elle occupait, depuis 1979, à la Maternité provinciale de Namur, au service du docteur Peers, un médecin humaniste tout entier dévoué à la cause des femmes. Continuer la lecture

Mots et vie(s) à mettre au jour

Un coup de coeur du Carnet

Aliénor DEBROCQ, À voie basse (nouvelles), Quadrature, 2017, 140 p., 16€/ePub : 9.99 €, ISBN : 9782930538723

debrocqLa maternité s’avère-t-elle être un sujet littéraire porteur ? Si l’on en croit Marie Darrieussecq (Le Bébé), Éliette Abécassis (Un heureux évènement) ou plus récemment Valérie Mréjen (Troisième personne), assurément. Tout comme peuvent l’être le choix assumé d’une vie faite d’écriture plutôt que de transmission matrimoniale (Linda Lê – À l’enfant que je n’aurai pas) ou le constat qu’être femme sans descendance peut encore étonner ou faire jaser (Jane Sautière – Nullipare).

À lire : un extrait de À voie basse

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