Insecte et homard

Romane BIRON, Le diable en pantoufles, MaelstrÖm, 2017, 120p.,13€, ISBN : 978-2-87505-266-7

bironVu de l’extérieur, le n°18 de l’allée du Silence a tout de l’habitation modèle avec jardinet propret, où niche une famille qui semble l’être tout autant : Charles, le père, est pragmatique et ses lunettes ne tolèrent aucune salissure. Chantal, la mère, gère les cordons de la bourse familiale de façon économe et livre des plateaux-repas au domicile des personnes âgées ou alitées. Leurs filles, Marie (13 ans) et Élodie (6 ans) sont élevées de façon très pieuse, avec la Radio Chrétienne Francophone en fond sonore continu, au point que l’aînée préfère Bernadette Soubirous à toutes les stars pailletées dont s’amourachent les jeunes de son âge. Elles partagent une même chambre qui devient le théâtre de leur imaginaire, leur rempart contre le monde extérieur. À quelques pâtés de maison de là, leur grassouillette et guillerette Mamie Framboise ne dit jamais non à un bon gâteau et ne raterait pour rien au monde un match des Diables Rouges.

Quand on y regarde de plus près, quelque chose fait cependant tache dans ce tableau candide. C’est une maison dans laquelle on ne rit guère, dans laquelle les fillettes se contentent de miettes qu’elles ne peuvent guère semer pour s’enfuir et où l’on n’invite pratiquement personne. Un foyer où on se soucie plus du qu’en-dirat-on du voisinage que de la joie ou de la santé fragile de sa progéniture. Une demeure où, depuis sa première communion, Marie redoute l’arrivée des vendredis, ces soirs-citrons où son père s’arrange pour se retrouver seul avec elle. Où les draps se froissent. Où elle s’évanouit. Où survient quelque chose de si innommable qu’elle doit en protéger sa petite sœur. À qui confier un secret si lourd ? Quels stratagèmes mettre en place pour qu’Élodie n’en vienne jamais à croquer la première hostie ?

Dans ce premier roman où le recto angélique s’assortit d’un verso pernicieux, Romane Biron injecte de la fantaisie – entre comptines révélatrices ou réparatrices, parties de Cluedo et ripostes crustacées – et de la bravoure chez l’attachante Marie, luttant seule contre un terrible tabou, cherchant presque davantage à préserver l’innocence de sa cadette qu’à se tailler son propre chemin plus sûr vers l’adolescence. Illustré de ludiques chromos religieux recomposés avec des éléments de l’histoire, Le diable en pantoufles choisit de faire de la tendresse et de la lucidité les meilleures armes pour lutter contre le mal – au visage si familier – qui rôde.

Anne-Lise Remacle