Luc DELLISSE, Le policier fantôme, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2017, 388 p., 11 €, ISBN : 978-2-87568-139-3
Les années 80 ont vu la (re)découverte de la littérature belge. Cela s’est marqué par la publication de différentes études sur des aspects moins connus et peu valorisés de nos Lettres. En témoigne Le policier fantôme paru en 1984. Aujourd’hui Espace Nord en propose une réédition revue et augmentée.
La « note liminaire » de Luc Dellisse lui-même précise les enjeux de l’étude. À la demande d’un libraire d’occasion bruxellois, et alors qu’a priori il ne connaissait pas spécialement le sujet, il a accepté de se lancer dans l’étude de la littérature policière belge. Et il a vu déposés chez lui « douze cartons bourrés à craquer de vieux livres aux couvertures frappantes ». Il rédige alors un livre dont il dit : « ce n’est pas un ouvrage d’érudition ou de synthèse, c’est un livre subjectif et assez passionné ».
Dans une courte première partie, l’essayiste balise son propos. « L’ouverture de l’enquête » s’attarde sur les figures du héros, parmi lesquelles le type original du non-professionnel « lancé par hasard dans le choc imprévu d’une aventure périlleuse », plus spécialement le journaliste. Celui-ci résume les qualités des autres types d’enquêteurs. Néanmoins, selon l’auteur, la primauté revient toujours à la « dynamique du récit pour le récit », et le roman policier se caractérise par le fait qu’« il définit ses types humains en fonction de ses besoins narratifs ». C’est en s’appuyant sur cette double constatation du Luc Dellisse va analyser l’œuvre des écrivains représentatifs.
Un second angle d’approche est l’« inscription socio-culturelle » dont l’auteur dégage les caractéristiques pour cette période entre 1935 et 1960. On vient, selon lui, d’une « conception “impériale” du monde : l’esprit d’aventure combiné à l’esprit de gestion ». Les auteurs de romans policiers vont dès lors être partagés entre roman d’aventure et roman de détection. Le rapport à l’étrange les taraude aussi. Mais la période va évidemment surtout être marquée par l’Occupation qui influence profondément le développement du policier en Belgique.
Dans la deuxième partie, « Rivages du mystère », Dellisse décrit l’œuvre de quelques auteurs marquants. À commencer par Jean Ray et ses Harry Dickson. L’étrange et la peur ne sont jamais loin chez le Gantois. Mais, la rapidité de rédaction de ces textes et leur caractère échevelé ne permettent pas à la peur de véritablement s’installer. Il y a un effet de distanciation, encore renforcé par un humour noir. Finalement, dans les Harry Dickson, « tout est jeu ».
Chez l’auteur liégeois à la pipe, Dellisse met en relief les Simenon, un écrivain partagé entre souci de réalisme psychologique et récit policier, dont l’essayiste décrit les variations.
Le coup de cœur, c’est cependant Steeman, dont la figure domine largement le paysage éditorial du genre. L’auteur lui consacre la part majeure de son livre, montrant l’évolution de l’écrivain et de ses personnages. Il loue la capacité de Steeman à construire des scénarios et à créer une tension positive entre roman de détection et roman d’aventures. Le succès s’explique aussi par le « mélange de comédie de mœurs, de nostalgie romantique et de machination criminelle ». Mais la tentation du roman psychologique n’est jamais bien loin.
Pour Louis-Thomas Jurdant, Dellisse pointe la pauvreté des intrigues, qui donne cependant un charme de « premier degré », ainsi que le goût de Jurdant pour la description de sites, que ce soit Londres ou la campagne occidentale inspirée par le cadre de Soumagne. Max Servais réalise, lui, une « parfaite synthèse du récit de détection et du roman noir », en créant un décor et une ambiance véridiques dans un style vif et imagé.
Thomas Owen est un autre coup de cœur, lui qui expérimente les limites structurelles du genre, ce qui le mènera au fantastique. Enfin, André-Paul Duchâteau réussit la transposition du récit de détection en bande dessinée.
L’édition originale du Policier fantôme, qui n’a été que peu retravaillée, a cependant été complétée par une cinquantaine de pages sur les auteurs contemporains. Cette partie convainc moins car trop synthétique et le propos perd dès lors en clarté.
« Livre subjectif et passionné » écrivait le critique dans la note liminaire. C’est ce qui en fait à la fois son intérêt et son défaut. Luc Dellisse peut marquer un enthousiasme communicatif pour certains auteurs et certains livres. Mais cette approche subjective se fait au détriment des écrivains qu’il aime moins ainsi que, parfois, de la cohérence conceptuelle.
Cette édition comporte également un répertoire alphabétique des auteurs ainsi que des collections et des éditeurs établi par Patrick Moens.
Joseph Duhamel