Rêvons ensemble

Un coup de cœur du Carnet

Carl NORAC et Géraldine ALIBEU, Poèmes pour mieux rêver ensemble, Actes Sud junior, 2017, 96 p., 16,50€, ISBN : 978-2-330-07889-8

noracSur leur site, les éditions Actes Sud junior présentent Poèmes pour mieux rêver ensemble comme « un recueil de poèmes bienveillants et optimistes pour prendre soin de chacun ». « Bienveillance », « optimisme »… Des mots tellement scandés et rabâchés qu’ils en deviennent mièvres, crispants, allergéniques. Mais ne fuyez pas, réfractaires et traumatisés, et ouvrez ce livre sans sueur froide : ici, ces termes ne sont pas galvaudés. Ils vibrent en toute légitimé : pleins, ronds, légers, sincères, incarnés.

Carl Norac (anagramme de Coran…) n’est plus à présenter : auteur de poèmes, d’albums jeunesse (dont l’incontournable Les Mots doux), de contes, de scénarios et d’adaptations (spectacles musicaux, de marionnettes, etc.), il s’est embarqué dans de nombreuses traversées littéraires, individuelles ou collectives (comme la création, en 1998, de la revue et de la maison d’éditions « Le Fram » avec Karel Logist et Serge Delaive). Cette âme de voyageur a toujours su s’entourer d’artistes aux voiles aussi gonflées de sensibilité et de créativité que lui. Ainsi en est-il de Géraldine Alibeu, une dessinatrice (et auteure) que l’on ne devrait plus avoir à présenter. Son univers aux motifs colorés et texturés est peuplé de créatures (humaines, animales, minérales, végétales ou joliment monstrueuses) qui s’imbriquent dans des perspectives souvent renversantes. Pour nous enchanter, Alibeu privilégie une sobriété poétique qu’elle rend à travers quatre techniques principales : l’illustration « classique », l’animation, l’illustration textile et le travail de la céramique. La force de son travail tient à son « universalité générationnelle » : il trouve écho au creux de tous, sans distinction de rides.

Dans ce recueil séduit l’alchimie manifeste entre les illustrations d’Alibeu et les textes de Norac : les lettres de l’un et les traits de l’autre s’équilibrent, se densifient, page après page. Bien entendu, il y a des glissements, des inattendus, des contre-pieds, mais la cohérence se fait lumineuse et ingénieuse. Par des jeux de sonorités et d’images, tous deux illustrent différentes vérités, dont l’une calquerait un dicton populaire : après la pluie, le beau temps (et avant aussi d’ailleurs) !

Parfois, j’ai peur de tout.
Je pourrais disparaître derrière un mouchoir.
Je joue au papillon qui ferme les ailes.
Je parle parfois en me cachant les yeux.
J’imagine une île loin de tout et sans bruits,
un endroit sans envers, où il n’y a personne.

Norac et Alibeu nous apprennent que ces craintes, tout comme d’autres angoisses, s’apaisent déjà un peu quand on sort sous la pluie, qu’on pose sa tête sur l’épaule d’un ami, qu’on se réfugie sur le bateau-île de sa maman, qu’« on est dans la lune, et qu’on rit / [qu’o]n dit qu’on revient dans cinq minutes / et ça dure des heures »… Bien plus que de l’optimisme, il y a de la confiance dans ces poèmes, en la vie, en l’autre, mais aussi en soi :

Quand je ferme les yeux,
un autre œil me regarde.
Je suis habité.
Je ne savais même pas
que j’étais une maison.

Chacun à son rythme, chacun à sa façon, chacun comme il peut, avance. On trébuche, bien sûr, mais ce n’est pas grave :

Même le ciel tombe parfois.
Il se prend les pieds bleus dans ses nuages,
puis il s’en va comme un ciel s’en va,
en ramassant ses chaussures. 

Il suffit de continuer son chemin car on est tous « un oiseau quelque part ». Alors, une fois les peines taries, les peurs redimensionnées et les râleurs ignorés, place à la joie ! Laissons pousser nos ailes. Imaginons-nous, plus tard, « blanchisseur de nuages ou berger d’oiseaux, / peut-être compteur de gouttes d’eau, / arbitre pour combats d’escargots ». Laissons-nous pousser une moustache, pas une barbe ! Enfourchons notre vélo (souvent) et fredonnons (pas forcément en même temps). Saluons les cerises. Et nos voisins. Rencontrons-nous. Soyons des mômes qui courent et qui dansent. Dans les jardins, rassurons les éléphants tristement perdus ; des tiroirs, sortons les girafes tantôt enrhumées tantôt étoilées. Repoussons sans cesse l’horizon, voguons sur les flaques et les rivières, grimpons sur les conifères. Éclatons tels des baisers-gouttes. Apprivoisons les « loupiot, loupiote, loup-pote, loup grand méchant » et tous les autres canis lupus comme la Petite Louise. Admirons la lune qui veille, et bâillons quelques nuages. Claquons la porte au nez de la fin du monde. Écoutons s’il pleut aussi à Outsiplou. Dormons un peu comme papa et, surtout, réveillons-nous le lendemain. Adoptons le statut poème, de nationalité ou de profession, au choix. Changeons le monde. Étoilons, pageons, infinissons. N’abandonnons pas nos rêves. Risquons l’amour. Rêvons. Rêvons ensemble.

Samia Hammami