« Le courage des oiseaux »

François SALMON, Rien n’arrête les oiseaux, Luce Wilquin, coll. « Euphémie », 2017, 160 p., 16€, ISBN : 978-2882535382

salmon.jpgAprès un premier recueil (Rien n’est rouge) publié chez Luce Wilquin en 2015 et auréolé de différents prix, le Tournaisien François Salmon récidive avec huit nouvelles à l’ironie légère et aux chutes inattendues.

Isolé dans son Massif central, Vincent épouse le rythme de son jardin qu’il bine, sarcle, désherbe, et de ses lectures qui lui nourrissent l’esprit. Cette incarnation de la Pleine Conscience mène une existence de célibataire aussi sereine que satisfaisante : « Et du matin au soir, sans urgence et sans chagrin, il regardait la vie se faire et se défaire entre feuilles de romans et lignes de salades. » Jusqu’à ce que Mélanie soit parachutée dans ce coin à l’air immobile. Elle lui parlera alors du « nom des courants d’air » et lui décrira avec force évocations les Tamboen, Willy-Willy, Foehn, Haboobs, Freemantle Doctor, Chinook, Karaburan, Barber, Piterac et autres vents grisants. Elle lui insufflera l’envie « d’ouvrir ses poumons aux souffles du vaste monde ». Reste à savoir si un coup de fléchettes pourra ou non abolir le hasard…

Paris est la ville des amoureux qui y cadenassent leurs sentiments sur les ponts enjambant la Seine. Quel que soit leur fuseau horaire, Lisbonne, Saint-Pétersbourg, San Francisco, Santiago du Chili, Tokyo, quant à elles, ne font que palpiter à la cadence de la capitale-lumière. Des amours qui paraissaient éternels s’y volatilisent ainsi, en une respiration ensommeillée, une mastication inélégante, un virage ignoré, une danse déchaînée, un texto laconique… C’est aussi évident que déconcertant : « Diogo regarde Celina et ne peut que constater : c’est fini. Aussi simple que ça. […] Près de lui, le corps de Celina, son corps si familier, son corps à elle, son corps à eux, n’est déjà plus qu’un souvenir. »

Laurent est un microbiologiste, au seuil de son quart d’heure warholien à un colloque international de Steinberg-am-Main. Rongeant son frein d’amertume, un brin revanchard, il attend son moment : son égo a bien besoin d’être requinqué après deux ans de recherches dans le plus sombre anonymat. La reconnaissance de ses pairs et, au passage, la chute du suffisant Verstraeten sont à quelques communications de lui. Bien sapé, bien peigné, il doit néanmoins s’incliner devant la terrible réalité : « Sur l’échelle ouverte de l’anéantissement comme sur celle de Richter, passé certain seuil, un degré de plus, un degré de moins, catastrophe ou cataclysme, on ne sent plus bien la différence. »

Si appuyer sur le champignon peut s’avérer hallucinant pour un universitaire, tester les lois de la pesanteur l’est tout autant pour un octogénaire. Thierry habite dans un appartement à Ixelles, seul. Lors de ses longues séances de mastication triquotidiennes, il constate le développement d’une fêlure au plafond de sa salle à manger. La faille progressant, il investigue et rencontre de sa voisine du dessus, Arlette. Cette adorable vieille dame, pourtant très attachée aux vestiges de son passé, va lui apprendre ce qu’est la légèreté : « Des années à empiler feuille après feuille ces millions de légèretés, à retenir autour d’elle tableaux, photos, masques africains, globes de carton, branches de corail, comme des myriades de papillons sauvages. Nœud après nœud, lecture après lecture, elle avait recueilli tout ce qui pourrait soulever l’incommensurable poids du monde. »

Dans Rien n’arrête les oiseaux, il sera aussi question d’un homme qui se confesse auprès d’un psy inconnu, juste après avoir commis un parricide. Pour un chômeur largué et dépressif, une retraite avec ses géniteurs n’est décidément pas la meilleure des idées, sous peine de virer en Œdipe comédie. On lira, par-dessus son épaule, les listes de Mathilde, une institutrice à la retraite qui, depuis son adolescence, chaque soir, décompose ses lendemains en successions de tâches à cocher une fois accomplies. Une façon comme une autre pour cette amoureuse d’Ensor de se protéger des tsunamis de la vie : une vague après l’autre, on peut traverser les océans. On suivra également Joseph B., à qui il arrive un truc incroyable absolument tout le temps (à tel point qu’il s’est créé un métier sur mesure : modèle littéraire vivant) et qui deviendra, à son corps défendant, le protecteur des loupiots mouchetés. Enfin, on sautera à pieds joints dans une histoire où se lient deux chaussures, trois cœurs et six jambes…

Dans ce plaisant recueil, la plume de l’auteur se fait à la fois tendre et humoristique, piquante et complice. Un seul souhait donc : que rien n’arrête jamais Salmon !

Samia Hammami