Et si c’était moi ?

Sylvie GODEFROID, Hope, Genèse, 2017, 150 p., 19€/ePub : 12.99 €, ISBN : 979-1094689073

godefroid hopeLa lecture des premières lignes du nouveau roman de Sylvie Godefroid nous plonge dans l’univers profondément cruel où Hope a grandi. Elle est née avec une neurofibromatose de type 1, entendez une tumeur inopérable qui lui « bouffe » le visage et effraie les regards qui se posent sur elle. Hope a été abandonnée par ses parents et n’a pas reçu d’affection. Elle n’en ressent pas pour elle ou pour le genre humain. Pétrie par la haine et le mépris qu’elle éprouve pour elle-même et pour les autres, elle a décidé de se suicider le jour de ses quarante-et-un ans, en tuant dans la foulée dix personnes de son choix.

Présentée comme ça, l’héroïne peut susciter le rejet du lecteur, mais c’est sans compter sur la finesse de l’auteure qui nous invite à comprendre comment Hope en est arrivée là.

J’ai grandi comme une mauvaise herbe dans le jardin d’une humanité qui n’avait pas de place pour ma singularité, j’ai courbé l’échine, recroquevillé la tête dans les épaules, baissé les yeux au sol qui rougissait rien qu’à croiser mon regard d’animal sauvage. Personne n’est outillé pour endurer ce que j’ai traversé. […] Eh non, la maturité n’aide pas à mieux gérer le rejet universel. On ne s’habitue jamais. On vous ment quand on vous dit qu’avec le temps, tout s’en va. Foutaise ! Avec le temps, ce qui fait mal fait encore plus mal. Votre regard appuyé, votre souffle dégoûté me transpercent toujours la poitrine au quotidien. N’importe qui en deviendrait mauvais […] La vie m’a tuée. Je suis morte de n’avoir pas su vivre.

Le récit est présenté comme le journal intime de Hope. Dans le premier chapitre, celle-ci nous présente un bref résumé de sa vie, puis son projet de suicide aux accents terroristes. Dans chaque chapitre suivant, elle présente tour à tour les dix personnes qu’elle a sélectionnées pour les emmener avec elle le jour de ses quarante-et-un ans. On pourrait s’attendre à ce qu’elle choisisse des personnes mauvaises, qui ont accompli des actions peu honnêtes, mais non, Hope choisit des personnes comme vous et moi, des personnes imparfaites, avec leurs qualités, mais aussi leurs lâchetés, leurs regrets et leurs blessures.

Au fur et à mesure que les pages s’égrènent, nous découvrons les fêlures profondes des dix condamnés de Hope. Nous nous attachons à eux, tout en priant pour que Hope change d’avis et ne commette pas l’irréparable. L’atmosphère est tendue, c’est que les récents attentats au Bataclan, à Zaventem et à Maelbeek sont omniprésents dans le récit, ils ont impitoyablement laissé des traces indélébiles dans la vie des proches des personnes tuées. À cela s’ajoute en filigrane l’ambiguïté que Hope peut éprouver pour ses condamnés.

Une femme qui, au fil de la filature que nous avons organisée, m’apprend la résilience. Moi qui hais les gens, des plus jeunes aux plus vieux, je ressens de la fierté à la découvrir. Elle en a dans la culotte, Salomé. Paradoxalement, plus je suis fière d’elle, plus je commence à l’aimer, plus je la hais. Elle me renvoie l’image de mes fêlures. Salomé ressemble au courage que je n’ai pas pu développer.

Sylvie Godefroid nous présente dans Hope un univers où rien n’est tout noir ou tout blanc, où « la vermine est partout » (même à Bruxelles, lieu du récit), où il est difficile de s’identifier à la douleur collective quand on est tourmenté par sa propre douleur. Un roman qui soulève des questions qui dérangent, comme dans Rien et Guerre – Et si ça nous arrivait ? de Janne Teller. Un roman coup de poing. À lire !

Séverine Radoux