Le goût de la nouvelle

Un coup de cœur du Carnet

Zoé DERLEYN, Le goût de la limace, Quadrature, 2017, 98 p., 15€/ePub : 9.99 €, ISBN : 9782930538747

derleyn le gout de la limace.jpgJe n’ai aucune idée de ce que peut donner sur les papilles gustatives Le goût de la limace, titre donné à son premier livre par Zoé Derleyn, mais je peux certifier que vous y savourez le goût de la nouvelle.

Le goût de la limace est publié aux éditions Quadrature, maison louvaniste de passionnés de la nouvelle, seul genre à figurer à son catalogue, publiant quatre titres par an. Les dix textes proposés par Zoé Derleyn ne manquent pas d’atouts : ils campent en quelques lignes les situations évoquées, avec une belle économie de moyens, comme dans Le camion, où la description détaillée de quelques meubles semble receler un secret (« Il y a dans cette armoire une sorte de secret textile que je ne suis pas supposée chercher à percer »), crée un climat de légère tension qui dissimule le sombre passé d’une grand-mère au centre du récit.

L’inattendu ne manquera pas de surprendre le lecteur à plusieurs reprises, notamment à travers la vie sentimentale de la femme qui traverse Le goût de la limace. Une femme toujours poursuivie par ses premiers émois érotiques.

Veillée rassemble deux fils, quatre filles et surtout une belle-fille autour du corps de sa belle-mère dans une scène où la charge émotive repose sur le climax particulier que crée l’auteure belge à travers des touches davantage suggérées qu’assénées. Un art de l’épure propre à la nouvelle.

Zoé Derleyn nous prend aussi au dépourvu, ménageant des surprises inattendues comme dans Pluvier, titre intrigant pour une soirée qui se révélera… bien molle, avec quelques touches d’humour à la clé.

Notre préférence va à Rumeurs, récit étrange, troublant, inhabituel, entre nostalgies et mesquineries sociales, à l’occasion de la crémation d’un époux. La magie de la nouvelle est de pouvoir mettre en scène des gouffres d’incompréhension, de rendez-vous manqués, en quelques lignes à peine, comme dans Terrain vague où une mère et son jeune garçon semblent passer systématiquement l’un à côté de l’autre.

La nouvelle est aussi un genre qui frôle les limites, qui défie les frontières, comme celles qui séparent la vie et la mort. Atteinte d’une pneumonie, une gamine plonge dans une sorte de brouillard lors d’un séjour chez une de ses grands-mères, mais découvre à travers la peur de mourir le désir d’écrire, comme une manière de sublimer La mort dans la nuit : « Elle se promet que si par miracle elle survit, elle écrira des histoires. »

L’adolescence revient à plusieurs reprises dans Le goût de la limace, comme dans Le petit qui, mieux que son père, séduit la compagne de ce dernier, ou Peau de rousse, fille de 15 ans qui se rêve sans parents, sans sœurs, à l’occasion d’une excursion spéléologique dont elle ne retient que la présence obsédante, éminemment poétique, de deux petits nuages qui lui offre contre toute attente cet espoir : « La vie promettait d’être merveilleuse, sans sa famille ».

Pour conclure le recueil, Zoé Derleyn concentre toute sa force narrative dans un texte bref, Sur la route du paradis, qui commence en douceur, annonce un bel amour et bascule dans une violence absolue. Ou de l’art d’en dire beaucoup en peu de mots…

Michel Torrekens