Un coup de cœur du Carnet
Véronique WAUTIER, Continuo, Peintures d’Anne SLACIK, L’Herbe qui tremble, 2017, 60 p., 13 €, ISBN : 9782918220527
Jacques Izoard l’aurait à coup sûr savouré, ce recueil de poèmes, fragilement campé entre deux fanaux repeints au bleu Nicolas de Staël ; il lui aurait plu, le lyrisme discret, comme mis en sourdine sous la pudeur et la délicatesse d’expression, mais à l’émotion toujours vibratile, de Véronique Wautier dans Continuo. Lyrisme, car le « je » est assumé et réaffirmé tout au long de cette suite, mais il n’a rien de conquérant, d’agressif. Conscient de ses limites, il préfère au contraire se tenir sur les berges de son fleuve intérieur et constater le réel qui l’entoure, en usant du moins fiable des outils, le langage. Le langage ? Qu’il soit cet impossible lieu commun à ceux qui / parlent et ne parlent pas.
Véronique Wautier tente dès lors, sans épanchement ni pose, avec la douceur inouïe / de qui connaît sa place / et son chant, de circonscrire au plus près l’émergence de sa parole, et sa possible portée. Elle interroge, et se garde de répondre, pas de posture / et / pas de solution. Elle déambule au bord de la Sambre, sans bruit, sans brouhaha, dans la simplicité de la présence au monde.
Tout doucement j’avance
vers la fin du poème
mais qui conduit
qui me rassemblera ?
la seule monture c’est la question
De ci de là, on achoppe avec elle sur le mot rien, souligné par l’italique, parfois utilisé au pluriel. Ces « riens » ne débouchent jamais sur le néant, ce sont plutôt des creux, pièges que l’on déjoue (Mais à quoi bon faire un poème / si quelque chose ne trébuche pas dedans / ou quelqu’un) ou nids qui tiendront lieu de refuge, en tout cas des failles dans ce fragment de temps forcément ébréché qu’est chacune de nos existences et où s’engouffre notre verbe intime. Car Les mots tombent / ils n’ont pas l’infini // passent au travers / se posent sur des riens / sur la vie favorable.
Et la dimension miraculeuse de l’écriture de Véronique Wautier se laisse alors entrevoir. La maison poésie ouvre grand ses portes, et surtout donne accès à un jardin, peuplé d’oiseaux qui tentent d’apaiser leur chagrin des hauteurs et de mots-arbres tels que l’adverbe « longtemps ». On n’est jamais vraiment seul dans un tel havre, avec ou sans majuscule, voué au réenchantement permanent de la solitude et à l’apprentissage des évidences essentielles :
Le poème brûle la douleur
c’est sa loi
et la joie immobile
trésor central de toutes les langues
résiste au feu je crois