Le goût des autres

Martine ROUHART, La solitude des étoiles, Murmures des soirs, 2017, 19€, 219 p., ISBN : 978-2-930657-38-7

rouhart la solitude des etoilesCamille, veuve et assistante vétérinaire, vit son existence à très basse intensité, dans un appartement qui surplombe un zoo. L’exubérance la bouscule, les autres la confrontent. Chaque voisin est source de stridence pour son onde intime discrète. Recroquevillée dans son quant-à-soi entre un lapin, un chat et les rares contacts avec sa mère Suzanne – de nature joviale et inquiète pour l’introversion radicale de sa fille – elle est toute entière suspendue dans l’attente d’autre chose, sans savoir même ce qui comblerait ce creux en elle. Une négligence au travail qui manque de coûter la vie à un chien la pousse à s’isoler encore davantage dans un maison-refuge, aux confins des Ardennes. Elle s’imagine y cheminer, loin de tout, dissoute dans l’environnement, jusqu’à ce qu’on frappe à sa porte.

Sur le seuil, l’homme qui vient la confronter jusque dans ses velléités d’ermite est grand, malhabile, une dégaine de clochard céleste. Pire que tout, alors qu’elle n’a d’autre choix que de le laisser entrer, il s’écroule dans son fauteuil, répond évasivement aux questions et repart comme il était venu. Un comportement sans gêne, mais bien plus intrigant que menaçant. Un hameçonnage singulier auquel Camille ne s’attendait pas, et la présence d’un autre qu’elle va finir par anticiper, espérer. Entre ces deux solitudes, ces deux rivages inquiets et blessés, va se créer un lien sans étiquette qui passera par le regard, le fait de se raconter et des gestes infimes : des lettres que Camille accepte d’envoyer à une certaine Iris – étoile majeure dans la vie de Théodore – une sollicitude mutuelle qui a pris le temps d’éclore.


Lire aussi : un extrait de La solitude des étoiles


Dans ce roman ponctué de citations stellaires poétiques (Philippe Jaccottet, Anne Perrier),  ou scientifiques (Hubert Reeves, Joanne Baker), Martine Rouhart nous dévoile par fines strates une femme enlisée dans sa vision cadenassée de l’humain et sortie de toute orbite et nous offre le contrepoint de sa mère davantage ancrée dans le monde, comme une conscience externe des endroits où blesse le bât. À mesure que le lecteur s’entiche davantage de cette héroïne aux épines apparentes, sa carapace se fendille, son pouls se fait plus tiède puis enfin, les lueurs reviennent. Comme le disait Apollinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles. »

Anne-Lise Remacle