Philippe REMY-WILKIN, Lumière dans les ténèbres, Samsa, 2017, 320 p., 24 €, ISBN : 978-2-87593-125-2
Lumière dans les ténèbres de Philippe Remy-Wilkin est un roman atypique, qui mélange les genres du polar, du roman psychologique, fantastique et historique, voire de mœurs, pour offrir un récit haletant, labyrinthique, aux intrigues nombreuses avec, comme décor, le Bruxelles de la fin du XIXe siècle.
Un livre audacieux qui marque un tournant dans le travail d’écriture de l’auteur d’origine tournaisienne qui nous avait habitués jusque-là à des romans historiques de facture classique ou des essais tout aussi historiques, des nouvelles, des scénarios de séries télévisées et de bandes dessinées. Une première partie de Lumière dans les ténèbres avait été publiée aux éditions Phébus sous le titre La chambre close, lieu d’une disparition énigmatique qui va entraîner le lecteur tenu en haleine dans une enquête aux multiples ramifications. Même des personnages y perdront leur latin : « Je risque de quitter cette histoire sans y avoir moi-même tout compris, débuta Aymon de Sainte-Marie. Mais que dire de vous ? Justice, police, journaux et public, vous avez saisi cette histoire comme un mollusque, contre lequel vos doigts glissent ou s’enfoncent, mais vous ne voyez que la partie émergée de la coquille. C’est une conque, messieurs. » Ainsi s’exprime l’un des nombreux protagonistes de ce roman original, truffé d’anecdotes et d’intrigues, parsemé d’indices et de références, rythmé par des rebondissements nombreux et inattendus. Et ce personnage central précise sa réflexion en donnant une définition de la conque qui pourrait s’appliquer au roman lui-même : « La conque. Une coquille complexe, qui résulte de l’emboîtement d’étages de plus en plus réduits. Vous y pénétrez par la cavité la plus large mais vous devez en remonter la spirale, pour espérer atteindre la retraite de l’animal… ou le cœur flamboyant de l’énigme. » Moteur de cette énigme : la disparition abracadabrante, le 14 juillet 1865, chez lui, sans laisser de traces, du baron d’Alladières, héros de la Révolution belge qui a mené en 1830 le soulèvement des typographes des journaux unionistes. Seuls indices : des cris de terreur, des lettres de sang et… un tas de cendres.
Dépêchés sur les lieux, le magistrat Lagasse de Lovenjoul et l’officier de police Alcibiade Vauvert (notez au passage l’exotisme des patronymes !) interrogent les filles du disparu : Clio et Thaïs. Un premier suspect est envisagé : un serial killer surnommé Le Mélomane, qui fait précéder chacun de ses forfaits d’une mélopée de violon. Parallèlement à cette enquête, le reporter Gérard de Valnère va mener la sienne sur base de ses sources littéraires qui remontent à Dumas et au fameux comte de Saint-Germain, dont la légendaire immortalité couvrirait plusieurs de ses exactions.
Deux enquêtes où l’on joue les Vidocq au milieu de la crasse urbaine mais aussi entre les couverts argentés, la soie et les blasons. Une fois l’intrigue résumée de la sorte, on n’a encore rien dit, tant les fils s’emmêlent au long des pages. L’un des épisodes les plus rocambolesques consiste dans la rencontre de Gérard de Valnère avec le poète Baudelaire, descendu dans un hôtel bruxellois, Le Grand Miroir. Et si la présence de l’écrivain dans cet établissement est historiquement avérée, la suite des aventures que lui prête Philippe Remy-Wilkin l’est nettement moins, à notre connaissance. C’est une constante de cette fiction qui se joue des données historiques au gré de l’imaginaire foisonnant de l’auteur, lequel s’est nourri des recherches qu’il a effectuées pour rédiger des essais sur des personnages comme Cagliostro et le comte de Saint-Germain. Autre exemple : la création de l’État belge et le choix de Léopold de Saxe-Cobourg comme premier souverain se déroulent sur fond de conspiration menée par un certain… Talleyrand. Mais le roman va plus loin et dresse des portraits sensibles des principaux personnages. L’enquête policière s’ouvre alors sur une haletante quête des origines et les possibles retrouvailles annoncent la suite des événements reprise dans la seconde partie : « Et si le diable avait un fils… ? » Comme dans le livre premier, le roman à tiroirs se poursuit par un emboîtement astucieux des chapitres, enchâssant les intrigues sur diverses trames. Les malédictions, mauvais présages et phénomènes paranormaux se succèdent à deux siècles de distance, la Belgique des années 1830-1865 et le naufrage du Batavia, en route vers les Indes, sur lequel a embarqué une bourgeoise cultivée en 1628.
À la lecture de Lumière dans les ténèbres, on pense à l’univers de Black et Mortimer ou à Joseph Rouletabille de Gaston Leroux, l’auteur du Mystère de la chambre jaune, auquel il est fait clairement référence, mais aussi à Edgar Allan Poe, Conan Doyle et autres Dickson Carr. Dans la première partie, chaque chapitre correspond à une journée de juillet 1865 et s’ouvre, à la manière d’un feuilleton, sur un article qui suit les développements de l’affaire. Le procédé contribue à l’atmosphère de ce roman qui n’en manque pas, ainsi que les évocations et descriptions du Bruxelles de cette époque. Alors, suivons-les, ces personnages fantasques, chaussée de Waterloo, rue de l’Impératrice, place Rouppe, rue de Ruysbroeck, rue de la Putterie ou encore rue des Longs-Charriots, en un temps où notre pays comptait plus de deux cents gazettes imprimées. Une pour chaque cité. Ah, la belle époque !
Michel Torrekens