Valentine de LE COURT, Une maison bruxelloise, Mols, 2017, 160 p., 17.50 €, ISBN : 978-2-87402-237-1
N’est-ce pas l’enfer pour une mère que de devoir abandonner au loin ses enfants, même temporairement, pour trouver les moyens d’assurer leur subsistance ? C’est bien ce que vit Maria-Fernanda, une jeune femme brésilienne qui a pris l’avion pour la Belgique et se retrouve à Bruxelles accueillie par une connaissance de sa cousine, dans une ville et une société dont elle ignore tout.
Pourtant, la chance lui sourit. Dans un grand magasin, parmi les annonces affichées librement, elle trouve un appel pour un travail de femme d’ouvrage à temps plein et elle se rend immédiatement à l’adresse indiquée. Ne recevant pas de réponse à ses coups de sonnette, elle se risque à pousser la porte légèrement entrouverte et signale sa présence par un appel vocal, mais en vain. Sans perdre de temps, elle se met cependant à la tâche qui ne manque pas dans la grande demeure bourgeoise qu’elle découvre. En fin de journée, elle n’a toujours vu personne et elle referme la porte derrière elle. Le lendemain matin, elle se représente tout naturellement en espérant rencontrer les occupants des lieux, mais elle ne croise toujours personne. Des billets de banque l’attendent toutefois sur une table, de la vaisselle et du linge ont été souillés, des objets déplacés. Elle en tire la conclusion que son coup de main est bienvenu. Ce scénario va se renouveler pendant des semaines, sans variante aucune. Elle organise librement son travail, explore les armoires, consomme de la nourriture puis commence à enfiler des vêtements, à s’autoriser des écarts. Des occupants, elle imagine la vie en son absence, les visages des enfants, le quotidien du couple. En fait, cette situation insolite a l’effet sur elle d’un miroir tendu. Ses monologues et suppositions restent sans suite mais la reconduisent à elle-même, à ses souvenirs, à son existence ratée, et surtout à sa volonté de rebondir, de mieux se prendre en mains. Comme on entamerait un travail sur soi face à un interlocuteur restant muet. L’habitation d’une famille attise aussi sa douleur de mère désenfantée espérant des nouvelles qui ne viennent pas, jusqu’à rendre la situation, d’abord confortable, désormais à la limite de l’insupportable. Peut-on exercer un travail sans jamais en attendre en retour une seule parole, sans espérer un jour apercevoir le visage de ceux au service de qui on œuvre ? Comment éviter que ces questions tournent à l’obsession ? Alors que la tension est à son comble, et que plus rien ne semble devoir arriver, des mauvaises nouvelles du pays viendront mettre un terme à ce huis clos, la précipitant vers d’autres préoccupations.
Au départ d’un scénario simple et d’un nombre limité de personnages, Valentine de le Court a créé une fable troublante et originale qui positionne son récit à la frontière du réel et du fantastique. Servi par une écriture soignée, ce roman placé sous le signe de l’attente ménage l’intérêt du lecteur tout en dressant un portrait de femme attachant et surtout en semant un trouble qui tarde à se dissiper. N’est-ce pas là le signe que nous tenons un roman réussi ?
Thierry Detienne