Navigateur solitaire

Claude RAUCY, Sans équipage, dessins de Jean Morette, Bleu d’Encre, 2017, 60 p., 12 €, ISBN : 978-2-930725-16-1

raucy sans equipage.jpgSans équipage, ainsi se nomme le dernier esquif poétique de Claude Raucy ; il a toutefois pour bagage, pour compagnie, une douzaine de dessins de Jean Morette, ce passager si peu clandestin du recueil. C’est que les deux vieux loups furent moussaillons à Vieux-Virton, au temps jadis, et naviguèrent de conserve entre les bancs de la même école villageoise, à Saint-Mard. Et puis les lieux, les itinéraires, les vies changèrent. S’ils firent tous deux profession d’enseignant, Raucy a notoirement construit une riche bibliographie de romans pour la jeunesse, tandis que Morette a édifié une œuvre plastique reconnue, consacrée plus particulièrement à la sculpture. Comme par un espiègle clin d’œil de l’âge mûr, les voici réunis pour la première fois dans une création commune. Sans équipage emporte à son bord trente-et-un poèmes, quatre chansons pour la mer et onze dessins. Un beau viatique !

Ici, pas de philosophie engoncée dans des mots à gargariser. Pas de glose, de concepts enfants non admis. La vie et la mort, simplement. Et vogue la galère du navigateur solitaire qu’est tout frère humain… Et le bonheur, c’est toujours pour après-demain… Et l’horizon n’existe que dans les rêves des enfants…

nos petits bateaux de papier / filaient tout le long du ruisseau / ce n’est pas cela disais-tu / ce n’est pas cela qu’il nous faut

un jour à Venise / tu m’as parlé d’Istanbul / tu comprends m’as-tu dit / tu comprends

dans le grenier / il y avait les gros bouquins rouges / nos aventures

tu soufflais la poussière / tu éternues comme un cachalot / disais-tu / tu lisais nos pages / nos fabuleux destins

qui a refermé le livre

Depuis Les Poignets ouverts, un premier titre publié alors qu’il était encore étudiant, Claude Raucy n’a cessé de donner des poèmes, parfois régulièrement, parfois plus sporadiquement, au fil de six décennies, ou presque. Deux recueils nous paraissent briller d’un éclat tout particulier dans ce chant poétique de longue haleine, Pommes sures (La Dryade), un tout petit livre qui est un écrin d’éclats poétiques majeurs, et Pour la reine des prés (La Dryade), un florilège bellement illustratif de son art. Nul doute que Sans équipage rejoint désormais ces deux-là !

Christian Libens