Où l’on rencontre un être qui marche avec les autres

Un coup de cœur du Carnet

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre, Rougerie & Centrifuges, 2017, 194 p., 13 €, ISBN : 978-2-9544587-9-3

dugardin notes sur le chantier de vivreMarc Dugardin est un chantier perpétuel. Un être qui marche avec les autres. En tant qu’homme, en tant que poète. Tout qui suit de près ses publications le devine : de livre en livre, se dessine une ligne souple, variée, variante. Une ligne creusant patiemment un sillon. S’appuyant sans cesse sur ce qui compte. Sur ce qui porte Marc Dugardin. L’aide à poursuivre. À concevoir une belle route. Ce sont les amitiés fortes. Les musiques qu’il écoute. Les révoltes qui grondent en lui. Les connivences avec les autres poètes, écrivains, qu’ils soient morts ou vivants. L’infaillible curiosité qui l’anime. Les questions et préoccupations qui le turlupinent, voire le passé qui le tourmente.

Bien sûr, on retrouve tout cela dans Notes sur le chantier de vivre, nouvel opus du gaillard, nouvel opus conjointement paru chez Rougerie et Centrifuges, amis fidèles, fidèles éditeurs. À la différence près que ces Notes, grande première pour Dugardin, ne sont pas des poèmes. Sont des notes issues de ses carnets les plus intimes. Tout qui connaît Marc Dugardin le sait : voilà bien des années que Marc Dugardin note, le plus régulièrement possible, dans un journal, ses rêves, ses réflexions sur la vie, sur le monde, les joies de partager entre amis les découvertes, les nouvelles versions de tel opéra, les phrases des poètes – amis poètes – qui font mouche, bouleversent la vie pour quelques jours ou des années. Tout qui connaît Marc Dugardin le souhaitait : tous ses amis avaient eu la chance de lire, de temps à autre, des pages de ce journal, généreusement partagées, en privé, par leur auteur ; tous ses amis l’encourageaient à rendre cela, en partie du moins, public, à publier l’affaire, en partie du moins. Selon ce que Dugardin jugeait publiable. Montrable. Joie : les amis de Marc Dugardin ont réussi à le convaincre : Notes sur le chantier de vivre est entre nos mains, nous pouvons l’ouvrir à n’importe quelle page et sentir la présence forte d’un homme littéralement, littérairement mis à nu. Non que Marc Dugardin s’adonnerait ici au petit jeu racoleur des confessions, au petit jeu des traumas et des secrets, des anecdotes soi-disant révélatrices ou parlantes. Pas d’intérêt, aucun, de mettre ainsi en évidence le « vécu », le « jardin caché ». D’ailleurs, tout qui connaît Marc Dugardin le sait : c’était une de ses résistances, une des raisons pour lesquelles Marc Dugardin a hésité à sélectionner avec soin dans ces carnets les entrées les plus pertinentes, les plus révélatrices du bouillonnement intérieur de Marc Dugardin. Crainte d’être trop anecdotique. De ne pas rendre compte, faire écho, fût-ce un peu, à comment ça « fonctionne » à l’intérieur de Marc Dugardin. À comment ça s’agence, porte, élance. Crainte de louper cela. Crainte que le lecteur et la lectrice loupent cela, ces élans, ces joies toutes intérieures mais tournées vers le monde. Ne pouvant avoir de sens que reliées au monde, aux amis, aux amies, aux « musiques des sphères » dirons-nous, pour faire vite, ne pas rentrer dans le détail, renvoyer au livre lui-même.

À toutes ses pages. Toutes. Sans exception.

Parce que Notes sur le chantier de vivre est un très grand livre. Tout qui connaît Marc Dugardin y trouvera, bien sûr, l’envie folle de replonger dans ses livres précédents, fort de ce livre-ci, conscient d’avoir maintenant en main et en tête d’autres cartes, d’autres pistes, pour relire. Tout qui connaît ou ne connaît pas Marc Dugardin y trouvera une invitation : celle de retrousser ses manches, de se mettre à construire, à inventer, ce qui, pour soi, fera, disons, « le vif du sujet ». Vous savez, cette petite crête battue par les vents, cette petite crête où des fois l’on se retrouve, souvent par hasard, cette petite crête que l’on suit, trente secondes ou dix, cette petite crête où l’on se sent vivant, au cœur du vert séjour des vivants.

Grand bonheur, donc.

Grand bonheur.

Vincent Tholomé