Archives par étiquette : Rougerie

De l’élancement

Françoise LISON-LEROY, Les éjointés, Rougerie, 2023, 12 €, ISBN : 978-2-85668-422-1

lison-leroy les ejointésOn est des vôtres
ceux qui cavalent sans prénom
sans le souffle des dieux
 

Au titre aussi évocateur qu’implacable, le nouvel opus de la poétesse Françoise Lison-Leroy (publié aux Éditions Rougerie) traverse les nuances de l’envol à partir de la brisure. À l’inverse de la pratique de l’éjointage, consistant à couper un bout de l’aile des oiseaux pour entraver leur vol, les mots de la poétesse quittent la terre ferme pour s’élancer dans une « musique au champ libre ». Les éjointés sont tous ceux auxquels blessure a été infligée et qui tentent, tant bien que mal, de continuer à mettre une aile devant l’autre. Continuer la lecture

« Un oiseau décisif »

Un coup de cœur du Carnet

Marc DUGARDIN, Dans la solitude inachevée, Rougerie, 2023, 76 p., 13 €, ISBN : 978-2-85668-423-8

dugardin dans la solitude inachevéeEmprunté au poème de Véronique Wautier (1954-2019) placé en exergue, le nouveau titre de Marc Dugardin, Dans la solitude inachevée, s’inscrit dans la lignée de ses précédents recueils publiés aux éditions Rougerie. Pensons à Table simple (2015), Lettre en abyme (2016) et D’une douceur écorchée (2020) qui se construisent notamment autour du motif de l’oiseau, de l’interrogation qu’il porte en son sein. Celle-ci est tant d’une simplicité désarmante que d’une densité blessante, car « ce qui traverse le chaos / ressemble à un oiseau ». Continuer la lecture

Poésie et profondeur

Serge NUÑEZ TOLIN, Les mots sont une foudre lente, Rougerie, 2023, 13 €, ISBN : 978-2-85668-421-4

nunez tolin les mots sont une foudre lenteSerge Nuñez Tolin est né à Bruxelles en 1961 de parents immigrés d’Espagne au début des années cinquante. Il a publié aux éditions le Cormier : Silo (2001) ; Silo II (2002) ; Silo III  (2003) ; Silo IV (2004) et L’interminable évidence de se taire (2006). Il a ensuite publié chez Rougerie : L’ardent silence (2010) ; Nœud noué par personne (2012) ;  Fou, dans ma hâte (2015) ; La vie où vivre (2017) ; Près de la goutte d’eau sous une pluie drue (2020) et ce récent Les mots sont une foudre lente (2023). Auteur discret au ton personnel, il a construit une œuvre rigoureuse où le poème interroge par fulgurance : « Les mots ne séparent pas du temps, ils sont comme une gifle » mais aussi par réflexivité : « Tout ici — les mots et les choses — n’a-t-il pas le même poids ? Cette chose du réel qui finit toujours par retomber dans sa disparition. » Chez Nuñez Tolin, le poème se présente comme une trace « n’allant nulle part ». Pourtant, la nécessité de dire et de noter trouve son origine dans « ce qu’on écoute » et l’intime pressentiment du néant. Il y a une forme de simplicité et de mystère dans cette poésie économe en images et orientée vers le questionnement de l’être. Dans la lignée d’un Philippe Jaccottet, Serge Nuñez Tolin poursuit une méditation sur le sens de la vie, du rapport à l’autre, à l’écriture : Continuer la lecture

De l’immatériel

Gaspard HONS, Invisibles cordées, Rougerie, 2021, 12 €, ISBN : 978-2-85668-404-7

hons invisibles cordeesLa vie que tu t’offres
– Une histoire fêlée – Un
Objet de brève éternité
Naître pilote premier
Devoir se débarrasser de soi
– Comme d’une lettre –
Écrite en langue étrangère

Invisibles cordées de Gaspard Hons est, comme le titre le donne à pressentir, placé sous le signe de l’énigme. Non une énigme que le poète détiendrait pour lui seul, ni un mystère caché pour le lecteur – mais une énigme partagée, celle qui nous rassemble peut-être au sein de notre condition d’humains. En filigrane des pages, des poèmes sensibles et taciturnes, se devine la discrétion et la qualité de présence du poète Gaspard Hons, décédé en 2020. Continuer la lecture

Où l’insignifiant jouxte l’essentiel

Serge NÚÑEZ TOLIN, Près de la goutte d’eau sous une pluie drue, Rougerie, 2020, 70 p., 13 €, ISBN : 978-2-85668-407-8

Tel qu’il se révèle à petites touches dans ce nouveau recueil, l’auteur n’est pas un écorché vif ou un parangon de l’angoisse existentielle, tant s’en faut. Au gré de nombreuses variantes, le thème de l’Accord en effet ne cesse de se renforcer en se répétant au fil des pages : connivence du poète avec la nature en ses aspects les plus humbles, bouffées de joie, sentiment apaisant d’exister, « nuit resplendissante de la présence », intuitions de la totalité et de la beauté, bonheur comme « risque » à prendre ou, plus simplement, comme cet accueil du matin qui se fait en moi autant qu’au dehors. Ainsi le texte de Flaubert qui ouvre la seconde partie rêve-t-il d’une assimilation complète avec le monde naturel. Même un bref moment de mélancolie ne suffit pas à fissurer la confiance. Le plus surprenant, dans tout ceci, est la bonne adéquation du langage verbal au réel : « les mots rejoignent ce qu’ils désignent. Tout s’accorde alors que je parle, chaque mot fait mouche et les choses reçoivent, avec le nom qu’on leur a donné, notre présence reconduite » ; « passer les mots par la prairie du réel. […] S’ajuster au réel, ce qu’on ne cesse de faire ». On le constate, leçon d’attente, d’attention et de patience, la poésie de Serge Núñez Tolin tranche fortement avec une tendance dominante ces dernières décennies : l’extrême difficulté de trouver une entente stable avec soi-même, condition pourtant indispensable pour faire la paix avec le monde extérieur et les autres, l’inadéquation radicale des mots jouant dans ce mal-être un rôle décisif. Continuer la lecture

Et du dépl(o)iement

Un coup de cœur du Carnet

Marc DUGARDIN, D’une douceur écorchée. Janvier 2016 – Décembre 2018, suivi d’une approche par Vincent Tholomé, Rougerie, 2020, 13 €, ISBN : 978-2-85668-408-5

[…]
par où commencer
n’est pas
une question d’oiseau

Par où commencer, par quel bout prendre notre existence, comment composer avec notre « mémoire d’être né », avec quel silence conjuguer notre parole, comment faire entrer notre grande soif de vivre dans notre étroit gosier, où « […] c’est la honte qu’ils ont enfoncée »? Ces questions émergent sans doute à la lecture du recueil D’une douceur écorchée de Marc Dugardin (Éditions Rougerie). Continuer la lecture

La poésie est-elle possible après le génocide ?

Nicolas GRÉGOIRE, Travail de dire, Rougerie, 2019, 62 p., 12 €, ISBN : 978-2-85668-406-1

« Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et de ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes » (Theodor Adorno, Prismes). Bientôt célèbre, cette affirmation de 1955 donna lieu à de virulentes discussions où s’illustra notamment un Paul Celan. L’effroi suscité par la découverte de la barbarie nazie rendait en effet inacceptable la réactivation de l’activité culturelle et artistique antérieure, laquelle n’avait pu empêcher quoi que ce soit. Ainsi, écrit encore Adorno, « les artistes authentiques du présent sont ceux dont les œuvres font écho à l’horreur extrême » (Modèles critiques). Or, voici que le génocide rwandais de 1994 a eu pour effet d’engendrer avec acuité – le public étant informé quasi en direct – des réactions analogues : sidération muette, choc émotif, recours à des formules stéréotypées (« sauvagerie », « folie meutrière », « cruauté », etc.), honte envers les rescapés, sentiment de culpabilité. Vint ensuite le vouloir-comprendre, qui se nourrit de témoignages, de reportages, de travaux historiens, d’enquêtes judiciaires : sursaut rationaliste honorable qui n’en étouffe pas moins les émotions initiales, porteuses d’une certaine vérité autant que d’une évidente impuissance. Mais, devant des dévoiements aussi terrifiants, existe-t-il une « bonne » attitude ? Continuer la lecture

Où l’on rencontre un être qui marche avec les autres

Un coup de cœur du Carnet

Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre, Rougerie & Centrifuges, 2017, 194 p., 13 €, ISBN : 978-2-9544587-9-3

dugardin notes sur le chantier de vivreMarc Dugardin est un chantier perpétuel. Un être qui marche avec les autres. En tant qu’homme, en tant que poète. Tout qui suit de près ses publications le devine : de livre en livre, se dessine une ligne souple, variée, variante. Une ligne creusant patiemment un sillon. S’appuyant sans cesse sur ce qui compte. Sur ce qui porte Marc Dugardin. L’aide à poursuivre. À concevoir une belle route. Ce sont les amitiés fortes. Les musiques qu’il écoute. Les révoltes qui grondent en lui. Les connivences avec les autres poètes, écrivains, qu’ils soient morts ou vivants. L’infaillible curiosité qui l’anime. Les questions et préoccupations qui le turlupinent, voire le passé qui le tourmente. Continuer la lecture

L’accent du vrai

Françoise LISON-LEROY, Le temps tarmac, Rougerie, 2017, 56 p., 16,00 Ꞓ, ISBN : 978-2-85668-396-5

lison leroy le temps tarmacLe nouveau recueil de F. Lison-Leroy comporte sept parties d’importance inégale. Les deux premières, ainsi que la cinquième, consistent en un seul poème versifié de deux pages. Par contre, les sections III, IV et VI groupent respectivement cinq, onze et sept poèmes en prose. Enfin, cinq poèmes en vers composent la dernière partie. L’impression prévaut que l’ensemble fut construit avec grand soin, sans qu’on discerne aussitôt la fonction de cette architecture. Or, il en va de même en ce qui concerne l’écriture, visiblement soutenue par une grande fermeté intérieure, mais jouant à l’envi du discontinu et de l’imprévisible, au risque de désarçonner. Peu ou prou de clichés lyriques, de formules convenues, d’états d’âme romanesques auxquels s’accrocher paresseusement : malgré la grande sobriété des moyens langagiers, la poésie de F. Lison-Leroy est secrète, exigeante pour elle-même autant que pour le lecteur. Continuer la lecture

Trouver sa veine

Serge NUÑEZ TOLIN, La vie où vivre, Rougerie, 2017, 13 €, ISBN : 978-2856683941

nunez tolinSerge Nuñez Tolin poursuit depuis plusieurs années un intéressant travail poétique, personnel et atypique. Une poésie qu’il publie chez des éditeurs comme Le Cormier ou Rougerie, des éditeurs ayant en  commun une même vision de l’art poétique et du livre-objet (qui se marque aussi – en clin d’œil – dans l’absence de rognages des cahiers). Deux ans après Fou dans ma  hâte et cinq ans après l’excellent Nœud noué par personne, Serge Nuñez Tolin revient avec un recueil assez similaire aux autres, La vie où l’autre, toujours édité chez Rougerie. Continuer la lecture

Où l’on assiste en direct à l’invention de l’amour

Un coup de cœur du Carnet

Marc DUGARDIN, Lettre en abyme, Rougerie, 2016, 70 p., 13 €   ISBN : 978-2-85668-390-3

dugardinUn jour, nous naissons. Sommes enfantés par nos mères. Sommes lancés dans ce monde. Pour le meilleur comme pour le pire. Chacun, chacune, s’en sort ensuite comme il ou elle peut. Certains et certaines en écrivent des livres. Juan Gelman aura été un de ces poètes. Marc Dugardin en est un autre. Sa Lettre en abyme peut être lue, entre autres choses, comme un hommage à Lettre à ma mère de Gelman, ce frère d’écriture, pour ainsi dire.

C’est que tous deux ont un « œuf à peler ». Une histoire à vider avec leurs mères mortes. Ces boules de peur et de haine. Ces êtres qui, à leurs corps défendant, auront, en même temps que la vie, « fait cadeau » à leurs fils de leurs vieilles casseroles. Vieilles peines. Vieilles marottes qui vous bouffent l’existence. Tarissent aisément les élans. Continuer la lecture

Vous avez fait votre métier de poète…

Un coup de coeur du Carnet
Mélanie GODIN

hennartCe recueil posthume paraît près de dix ans après la mort de Marcel Hennart aux éditions Rougerie. Composé de deux suites de poèmes inédits, il est préfacé par un autre auteur maison, Marc Dugardin. Dans cette précieuse petite rétrospective, Dugardin souligne avec un ton où l’on devine qu’il a bien connu l’auteur quelques éléments caractérisant la voix du poète disparu. On y apprend qu’il était passionné par l’Espagne, à l’instar de Fernand Verhesen et d’Edmond Vandercammen. La partie intitulée De jasmin et de lumière en témoigne puisqu’il s’agit d’une plongée dans l’Espagne de Federico Garcia Lorca. Sur une terre pleine de contrastes et marquée au fer rouge par la guerre civile de 1936, se mêle au sang, aux combats et aux larmes, une nature composée d’oliviers, de fenouil, de fleurs blanches, mais aussi de soleil aride et de mirages de mer : Continuer la lecture

Kaléidoscope du présent

Serge NUNEZ TOLIN, Fou, dans ma hâte, Limoges, Rougerie, 2015, 87 p.

nunez tolinLe livre s’ouvre avec l’intention d’écrire des mots d’amour. Mais le chaos du monde actuel n’a pas favorisé l’exploration de ce terreau-là. Loin des sentiments amoureux, la langue du poète a creusé un autre chemin, profilé par l’émergence presque immédiate du titre dans sa tête : Fou, dans ma hâte. Continuer la lecture

Art de vivre en période mortifère

Marc DUGARDIN, Table simple, Rougerie, 2015, 76 p., 13 €

dugardin_tholoméDisons-le d’emblée : Marc Dugardin n’écrit pas. Marc Dugardin vit. Marc Dugardin rencontre, partage, s’interroge, s’angoisse, rêve, s’offusque, regarde, ose un mot ou deux, se fait des amis, admire, écoute, goûte, apprécie, se désespère, fait découvrir, s’adoucit. Continuer la lecture

Variations automnales

Mélanie GODIN

honsLe nouveau recueil de Gaspard Hons est composé de deux parties, toutes deux liées à la peinture et à son influence immédiate dans l’acte d’écrire. La première, « Le bel automne », se lit avec l’accompagnement du tableau Painting Table de Philip Guston. Se succèdent au fil des pages de très brèves perceptions, comme des haïkus.

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