C’est arrivé près de Charleroi

André LALIEUX, Les Bienheureuses, Éditions du Basson, 2018, 160 p., 12 €, ISBN : 978-2-930582-56-6

lalieux les bienheureusesComment dit-on un page turner en français ? L’histoire des Bienheureuses commence pourtant en douceur et sans profondeur. Marcel Douby est un cinquantenaire et un fils modèle. Tellement attentif à sa mère qu’il préfère rester chômeur. Ainsi permet-il à maman de le dorloter tout son soûl. « Mercredi, c’est le jour des boulettes sauce tomate, frites. Elle les prépare super bien et je ne veux pas rater ça. »

Je dis « son soûl » parce que le soir Marcel raconte qu’avec ses potes, « On éclusait des Jups avant d’aller draguer des grognasses dans les dancings des environs. » « J’ai pris de l’âge comme ça, à la douce, en baisant des tordues de plus en plus âgées. Moi non plus, je n’allais pas en rajeunissant. »

Quel drôle d’auteur, André Lalieux ! Ses Bienheureuses ouvrent une nouvelle collection aux éditions du Basson : « Basson Rouge ». Et le plus comique de son texte, c’est qu’on n’est pas sûr qu’il le soit. « À l’époque, fille-mère, ça faisait mauvais genre, même dans une zone de merde comme la banlieue ouvrière de Charleroi. » Ambigu, n’est-ce pas ?

Toujours est-il que Marcel se met à serrer ses prises un peu trop ; de parfaites inconnues d’un soir. « Ce n’est pas rien, une femme qui vous mène au septième ciel en moins d’une demi-heure chrono et qui, elle, y reste, y plane pour l’éternité. Trop bon, trop fort : trop quoi. »

Elle a eu bien plus que ce qu’elle attendait : vingt secondes de félicité absolue, le Nirvana, l’absence totale de contrôle, le corps transcendé, l’esprit itou. Je l’ai vue partir dans un bonheur complet. Je me suis écroulé dans ses draps roses en la regardant. Elle était souriante, heureuse, apaisée et complètement morte. Je me suis endormi aussitôt.

Quand il ne strangule pas de gentils boudins, Marcel pense. Il développe des idées de bistrosophe et de poète du zinc. À force de cumuler, il observe qu’il est devenu le premier serial killer carolo de l’histoire de l’humanité. À un moment donné, il est même capable de vous expliquer pourquoi il fait ce qu’il fait. C’est hyper simple et basique comme un clip d’Orelsan.

Autour de lui gravite un nombre coloré de personnages bien débiles vivant en harmonie dans une ville bien pourrie. Le traitement des déchets y est apparemment aussi fructueux que corrompu. Mais c’est une ville dont il est fier comme un bar-tabac, comme dirait l’autre, là. « Toi et moi, ma blonde, on est des vrais Carolos, purs et durs. Mais pour comprendre ça, faut y avoir vécu assez pour s’y accrocher comme le chiendent sur les pentes des terrils. »

Enfin, quand il ne magouille pas, Marcel aime sa Cricri. Il ne s’est jamais rien passé dans sa vie, il n’a jamais aimé personne et voilà qu’à cinquante-cinq ans, il tombe amoureux. Un vrai conte de fée et de fesses. Et pas con, Marcel qui devient Marco à la ville parce que c’est plus classe dans le milieu du foot et des poubelles, fort de bien y avoir réfléchi, trouve judicieux de ne pas confronter la jalousie maternelle à celle de sa nouvelle.

Alors, comment dit-on un page turner en français ? Un capti-livre ? Un recto-verseur ? Un Titre à Grande Vitesse ? En tout cas, il ne faut pas plus de temps pour lire Marcel que pour écrire sa chronique. Dont j’aimerais qu’elle soit aussi drôle et bienheureuse que lui. Ou pas. Le Douby vous le dira.

Tito Dupret