Se battre, toujours se battre

Isabelle BIELECKI, Les tulipes du Japon, M.E.O., 2018, 238 p., 18 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-8070-0143-5

bielecki les tulipes du japon.jpgAprès un premier roman Les mots de Russie (éd. E.M.E.), remarqué par le prix des Amis des Bibliothèques de la Ville de Bruxelles, plusieurs recueils de poésie ainsi que des pièces de théâtre et des nouvelles, Isabelle Bielecki propose un deuxième roman, Les tulipes du Japon, aux éditions M.E.O. Le roman d’une femme au parcours étonnant à travers lequel le lecteur est en droit de lire des accents autobiographiques, à partir des éléments que lui fournit la quatrième de couverture.

L’éditeur, l’écrivain Gérard Adam, nous informe en effet qu’Isabelle Bielecki est née en 1947 dans la ville bavaroise de Passau, d’un père russe et d’une mère polonaise, tous deux rescapés des camps, passé familial qu’elle partage avec l’héroïne de son roman, Élisabeth. Les victimes et fantômes de l’Histoire vont hanter l’enfance et la jeunesse de la gamine, confrontée à des parents porteurs de douleurs inguérissables.

En 1963, Isabelle Bielecki obtient la nationalité belge. Le livre évoque de manière émouvante le combat quotidien d’une émigrée pour s’intégrer dans la société belge, alors qu’au handicap d’être une étrangère, s’ajoute celui d’appartenir à un milieu social modeste, son père n’ayant d’autre possibilité que d’offrir ses services comme domestique à une famille uccloise nantie.

Après avoir obtenu une licence en traduction, puis un diplôme de courtière en assurances, Isabelle Bielecki consacre sa carrière au monde nippon des affaires, curriculum vitae qu’elle partage à peu de choses près avec la protagoniste des Tulipes du Japon. Elle nous offre une immersion inédite, bien sentie, dans les milieux professionnels japonais implantés dans certains quartiers de la capitale européenne. Elle détaille leurs codes très particuliers, parfois cruels, leurs manies, leurs jeux de pouvoir, comme Amélie Nothomb l’avait déjà esquissé dans Stupeurs et tremblements.

Surtout, ce roman met en scène le combat d’une femme pour se réaliser en dehors des contraintes que bien des hommes lui imposent : son père Victor, au nom de l’honneur russe de l’émigré, son premier mari pour qui elle demeure transparente, son deuxième mari qui privilégie son boulot même quand elle l’appelle à l’aide, ses amants, le Belge qui ne fait que passer et le Japonais, Miura, le seul qui la comble mais qui retournera au pays. Le pire viendra avec un collègue toxique, dominateur, harcelant. Une série d’humiliations qu’elle avait inaugurée avec sa mère Eva qui la rabaissait quotidiennement par des châtiments corporels, sans que le père s’interpose. Dans sa quête d’un supplément d’existence, elle trouve des témoins inattendus et bien décrits comme un lilas, un sapin, une glycine et, bien sûr, des tulipes, ainsi que sa fille Ania. Celle-ci reflète d’une certaine façon l’aboutissement de tous les combats menés par sa mère pour exister pleinement.

Michel Torrekens