Une plongée passionnante dans les années de plomb

Un coup de cœur du Carnet

Bernard ANTOINE, Pur et nu, Murmure des Soirs, 2018, 435 p., 22 €, ISBN : 978-2-930657-41-7

À Bruxelles, le journaliste Thomas Holmer apprend que son père Egide, ancien grand reporter, est mort d’un infarctus dans les bras de sa maîtresse, Ana Raïtchev. Dans les affaires de son amant, celle-ci découvre des lettres : une pour elle, une autre adressée à Thomas et la troisième à une certaine Alessia. Qui est Ana ? D’où vient-elle ? Qui est Alessia ? Quelles relations unissaient Alessia et Egide ? Telles sont les questions qui se posent au début de Pur et nu, le premier roman très maîtrisé de Bernard Antoine. Les réponses relèveront de l’Histoire, car le livre met en relation le présent de Thomas et Ana et le passé complexe de la génération précédente, dont il s’ingénie habilement à tisser les relations à travers le temps.

Au départ, un couple de militants communistes, Birgit Solberg et Mattias Hauge, quitte la Norvège pour l’Allemagne fédérale où il arrive fin 1969. Leurs positions idéologiques deviennent incompatibles, ce qui va provoquer leur séparation. Mattias veut entrer dans la lutte armée et se rapprocher de l’embryon de la Fraction Armée Rouge, encore appelée « Bande à Baader », du nom de leur leader. Il tombe bientôt sous le charme de Gudrun Ensslin, l’une des membres de la bande. De son côté, Birgit s’éloigne des idées communistes, mais surtout n’accepte pas la stratégie de l’action violente pour s’opposer à la violence de l’État. Elle tombe amoureuse de Heiko Raïtchev, le libraire d’origine bulgare chez qui elle a trouvé un petit boulot.

Pur et nu, qui tient son titre d’un vers de la poétesse médiévale Hadewijch d’Anvers, est un roman pluriel, d’une construction complexe. Il multiplie les époques, les lieux et les personnages, avec cette particularité que les acteurs qu’on suit à différents moments sont tous reliés d’une manière ou d’une autre (parenté, amitié, relation sentimentale, militantisme politique). L’intrigue y est stratifiée en fonction du temps, des générations, des pays et des lieux. Historiquement, le récit s’enracine dans les années 1970, des deux côtés du Rideau de Fer et se prolonge jusqu’à nos jours en passant par Bruxelles, l’Allemagne, l’Italie, la Jordanie, la Bulgarie, Israël…

La force du roman tient dans sa capacité à rendre le lecteur curieux du sort de ses personnages : d’une part, Birgit et sa famille, obligés à plusieurs reprises de fuir les poursuites, d’un côté à l’autre du Rideau de Fer ; de l’autre, Mattias, devenu agent double au service d’Israël, qui finit par diriger le service d’espionnage de l’ambassade israélienne à Bonn. Et entre les deux, Thomas et Ana, cherchant en Italie la clé d’un secret laissé par Egide Holmer Causs après sa mort. Le paradoxe, c’est que ni la complexité, ni la longueur du livre ne font obstacle à l’intérêt du lecteur, parce que Pur et nu a d’indéniables qualités d’écriture, mais aussi de mise en scène, dans un style direct et cinématographique. Et Bernard Antoine sait concrétiser et faire vivre ses personnages. Un premier roman très réussi, qui flirte avec le récit d’espionnage et dont la fin réécrit l’Histoire de manière audacieuse !

René Begon